Núria FONT - Universitat Autonoma de Barcelona - 1998
Le sondage d'opinion délibératif (S.O.D.)

  Le sondage d'opinion délibératif est une méthode de construction d'une opinion publique, qui consiste à soumettre un échantillon représentatif de la population à un processus assez intense d'information et de délibération puis de mesurer l'évolution des manières de voir des participants sur le thème abordé.

Le sondage d'opinion délibératif (SOD) est un instrument innovant de participation citoyenne qui tente d'encourager la délibération entre citoyens tout en respectant le principe d'égalité politique. Il a été conçu par le professeur James Fishkin de l'Université d'Austin (Texas). Le SOD consiste à réunir un échantillon sélectionné au hasard parmi l'électorat national pendant quelques jours pour le soumettre à un processus de discussion de certaines questions politiques. Ainsi, il donne à tous les citoyens l'opportunité d'être représenté dans l'échantillon sélectionné, et permet aux participants de prendre part à un processus d'intense discussion sur des enjeux politiques. Pendant le processus de SOD, les participants délibèrent en petits groupes et ont la possibilité de poser des questions à des experts et à des hommes politiques. Le processus de SOD peut être diffusé sur une télévision nationale, de telle sorte que le citoyens puissent suivre les délibérations de l'échantillon représentatif qui prend part au SOD. Les participants sont interrogés deux fois, avant et après le processus, sur les questions politiques qui ont fait l'objet de la discussion.L'hypothèse sous-jacente du SOD est que les opinions politiques des citoyen changent lorsqu'ils sont engagés dans un processus d'information et de délibération. Par conséquent, comme les participants au SOD sont considérés comme représentatifs de la population, tous les citoyens, s'ils étaient immergés dans un processus informatif et délibératif, en arriveraient aux mêmes conclusions que celles de l'échantillon. Ainsi, le but du SOD est plus ambitieux que celui des sondages d'opinion traditionnels, où les citoyens expriment des opinions irréfléchies. Le SOD permet à un microcosme du pays d'émettre des recommandations, après avoir été soumis à un processus délibératif.

Jusqu'ici, le SOD a été mis en pratique deux fois, l'une à Manchester en 1994 et l'autre à Austin en 1996.
1) Le SOD de Manchester a réuni un échantillon sélectionné au hasard de 300 citoyens pour débattre de l'augmentation de la criminalité au Royaume-Uni. Le défi de l'expérience était de savoir si les participants changeraient d'opinion au cours du week-end de SOD. Confrontés à la question "L'augmentation de la criminalité : que pouvons-nous faire à ce sujet ?", 38 % des participants répondirent qu'il fallait envoyer plus de condamnés en prison. Ce chiffre contraste avec les résultats d'une enquête identique adressée à la population, selon laquelle 57 % des citoyens partageaient cette opinion. Selon Fishkin, 38 % de la population totale au lieu de 57 % en arriveraient aux mêmes conclusions au sujet de la criminalité si le pays était peuplé de citoyens idéaux, c'est-à-dire, de citoyens bien informés et s'intéressant aux questions politiques.
2) L'expérience de Manchester a inspiré le SOD organisé à Austin en 1996. Ce SOD, intitulé The National Issues Convention (NIC), a essayé de connaître l'opinion des citoyens sur trois thèmes : la politique étrangère des États-Unis, la politique économique et le rôle de la famille américaine. Un échantillon représentatif a été sélectionné au départ, bien que 141 personnes (à peu près 25 %) aient refusé de prendre part à l'expérience d'Austin. Avant le week-end de la NIC, les participants furent interrogés sur les trois thèmes et reçurent des documents écrits relatifs à ces thèmes. Durant le processus, ils discutèrent sur les trois thèmes en petits groupes et eurent l'occasion de poser des questions aux représentants des partis Démocrate (Al Gore) et Républicain (Richard Lugar). La NIC a été diffusée par la télévision nationale CBS et a engendré un intérêt considérable de la part des médias. A la fin du processus, les participants furent interrogés à nouveau sur les trois thèmes. Les variations dans les réponses par rapport aux interviews allaient initiaux de 0 à 19 %. Selon Fishkin, ces variations prouvent que la population arriverait aux mêmes conclusions que celles exprimées par les participants pendant le SOD si elle était engagée dans un processus délibératif.

Critiques
Si de nombreux chercheurs ont souligné le haut niveau de la discussion entre les participants et leur capacité à comprendre des questions complexes et à s'intéresser à des problèmes collectifs, le SOD a aussi provoqué des réactions critiques à la fois en ce qui concerne sa méthodologie qu'en ce qui concerne sa philosophie sous-jacente.
1) Sur la méthodologie du SOD, Ladd et Mitofsky ont fait remarquer que l'opinion des citoyens ayant participé au SOD ne pouvait pas être généralisée à l'ensemble de la population, à cause de la non-représentativité des participants, étant donné que 25 % de l'échantillon initial avait décidé de ne pas prendre part à l'expérience.
Mitofsky identifie une seconde erreur méthodologique dans le fait de tirer des conclusions du changement d'opinion des participants à la NIC. Il souligne que pour isoler les variables qui expliqueraient ce changement, il aurait été besoin d'un second groupe de contrôle, formé par un même nombre de citoyens n'ayant pas assisté au week-end d'Austin.
Une autre critique relative à ce changement d'opinion fait référence à "l'effet Hawthorn", le fait que les gens peuvent changer de comportement parce qu'ils savent qu'ils participent à une expérience et qu'ils sont observés. Selon Adair, le SOD reproduit cet effet, les participants ayant été isolés de leur environnement quotidien, et sachant qu'ils sont observés à la fois par les organisateurs et par les téléspectateurs. D'une manière générale, la plupart des opinions critiques sur le SOD soulignent que les changements d'opinion ne résultent pas de conversations d'une heure avec des hommes politiques sur, par exemple, la politique étrangère, mais plutôt de processus évolutifs fortement influencés par la famille, l'environnement social, l'expérience propre et les mass media.

2) Au-delà de la faiblesse méthodologique des SOD, sa philosophie sous-jacente fait également l'objet d'intenses critiques. Certains auteurs considèrent le SOD comme un artefact social pouvant avoir des conséquences dangereuses. Par exemple, Ladd et Trigali font remarquer que la mise au point de l'ordre du jour a été très sélective, et que les thèmes abordés à Austin étaient biaisés et ne correspondaient pas aux sujets de débat centraux de la campagne présidentielle de 1996. Mais au-delà du possible parti pris introduit dans la procédure, certains soulèvent des problèmes de fond quant aux conséquences des SOD pour la démocratie. Certains auteurs observent que les changements d'opinion des participants au SOD ne sont pas déterminants étant donné qu'ils correspondent à un état idéal dans lequel les citoyens sont immergés dans un processus délibératif et informatif. A l'inverse, les opinions des simples citoyens expriment les impressions, les craintes et les intérêts de leur "vraie vie", et c'est dans cette "vraie vie" que la démocratie doit être évaluée. Mais au-delà de cet argument, les détracteurs du SOD considèrent que Fishkin porte un jugement de valeur sur la démocratie quand il suppose que les citoyens votent sans avoir une connaissance suffisante des alternatives politiques, et les opinions 'non-informées' ont moins de valeur que les 'bien informées' dans les processus politiques. Trigali doute de la nécessité pour les électeurs d'être parfaitement informés, que cela soit une condition nécessaire de démocratie, et que les opinions non-informées soient moins pertinentes dans la vie démocratique. Pour lui, la définition de la démocratie inclut le droit de choisir entre des opinions politiques avec une information limitée.

Nature et validité du "changement d'opinion" des participants au SOD
Deux données intéressantes ressortent de l'expérience de Manchester (évoquées par Nonna Mayer dans son article "Le sondage délibératif" paru dans Le Débat, 96, sept-oct 97) :
- la variation des opinions est très différente suivant la nature de la question abordée. Sur le thème de la peine de mort, par exemple, qui renvoie à des convictions morales profondes, elle est quasi nulle.
- 'ce ne sont pas les interviewés les moins instruits, donc probablement les plus ignorants du problème débattu et de ses implications, ... qui ont le plus évolué, mais les plus diplômés. Ce qui suggère qu'un niveau culturel élevé, loin d'être un gage de stabilité des opinions, rendrait plus réceptif aux arguments adverses, plus ouvert à la discussion et à la remise en cause'.

Source : Núria Font, "New instruments of citizenship participation", Working Papers, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Universitat Autonoma de Barcelona, 1998. Les références bibliographiques ont été supprimées. Traduction de OP.


Núria FONT - Universitat Autonoma de Barcelona - 1998
Les Forums de discussion

Aux États-Unis, plusieurs centaines d'organisations civiques et éducatives se sont fédérées pour débattre ensemble et simultanément des mêmes thèmes ayant rapport à la vie publique du pays, aussi bien au niveau local qu'au niveau national.

Les forums de discussion sont des instruments de participation citoyenne où des citoyens volontaires prennent part à des discussion sur des enjeux politiques. Ils ne visent pas à influencer directement les décisions politiques, mais à encourager le dialogue et la délibération entre les citoyens. Les National Issues Forums (NIF) constituent l'un des instruments participatifs les plus éminents existant aux États-Unis qui rentre dans cette catégorie.

Les National Issues Forums sont un type de forum de discussion qui permet à des simples citoyens d'exprimer leurs opinions politiques et de dépasser les partis pris techniques, idéologiques et politiques. Ils constituent un réseau de près de 300 organisations civiques et éducatives américaines - universités, écoles, bibliothèques et paroisses, pour en mentionner quelques unes - qui décidèrent en 1981 de se coordonner et de s'affronter aux mêmes sujets de débat au niveau national. Depuis, près de 3200 NIFs, traitant de 3 problèmes politiques choisis, se tiennent chaque année. Les sujets traités au cours des dernières années couvrent une grande variété de sujets, parmi lesquels le rôle de la famille américaine, le rôle mondial des États-Unis, l'affirmative action ou la réforme du système de justice civile.

Les NIFs s'inspirent des focus groups, qui consistent à réunir un groupe réduit de citoyens pour discuter de problèmes politiques pendant deux ou trois heures. Mais si les focus groups réunissent un groupe relativement homogène, la participation des citoyens aux NIFs se fait, au contraire, uniquement sur la base du volontariat. Avant les discussions, les participants reçoivent des documents écrits sur les thèmes sélectionnés et répondent à un questionnaire. Experts et hommes politiques assistent aux rencontres et expriment leurs opinions. A la fin des débats, les participants décident s'ils veulent répondre à un questionnaire, la synthèse des résultats étant alors éventuellement envoyée à des institutions politiques au niveau local, à celui de l'État ou au niveau national. Les NIFs locaux choisissent d'ordinaire des représentants pour participer aux NIFs nationaux.

Limites
En général, les NIFs sont évalués positivement, en tant qu'ils donnent aux citoyens une occasion de s'engager dans un processus de délibération collective. De plus, le fait que les participants ne soient pas soumis à l'influence de groupes d'intérêts leur permet d'exprimer leurs propres opinions d'une manière spontanée, le forum devenant réellement délibératif. Toutefois, Crosby remarque que l'absence de groupes d'intérêts et de témoins limite les inputs reçus par les participants. Leur présence permettrait aux citoyens d'analyser en profondeur les thèmes politiques en débat.
De plus, il observe qu'une évaluation et une discussion profonde n'est pas possible quand les participants se réunissent pour si peu de temps, deux ou trois heures n'étant pas suffisantes pour permettre aux citoyens de peser les pours et les contres de plusieurs options politiques.
En outre, il est difficile d'évaluer le résultat de la discussion si les participants peuvent choisir de remplir ou non le questionnaire à la fin du processus. Comme certains d'entre eux décident de ne pas le faire, probablement ceux qui s'intéressent le moins à la politique, la synthèse des opinions qui parviendra aux institutions politiques risque d'être biaisée.

Au-delà de ces critiques, on dit que les NIFs ne sont pas représentaifs de la population et illégitimes du point de vue du grand public. Cet aspect est surtout évoqué à propos des NIFs nationaux, dont les participants sont sélectionnés parmi ceux qui ont pris part aux NIFs locaux. Toutefois, l'évaluation des NIFs doit considérer qu'ils ne sont pas destinés à être représentatifs, mais délibératifs. En ce sens, les NIFs réalisent leur objectif d'engager les citoyens dans un processus délibératif, et les critiques concernant les contributions extérieures, le temps et la composition peuvent être considérées comme des limitations mineures.

Source : Núria Font, "New instruments of citizenship participation", Working Papers, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Universitat Autonoma de Barcelona, 1998. Les références bibliographiques ont été supprimées. Traduction de O.P.


I -Les aspects fondamentaux des conférences de Consensus XI - Grande Synthe : la participation à l'échelle du projet urbain
II - Débats publics sur les choix technologiques : l'expérience danoise XII - Les expériences participatives dans la région de Bâle
III - L'impact des conférences de consensus au Danemark XIII - De la nécessité d'une participation citoyenne
IV - Publiforum : une manière d'évaluer avec les citoyens XIV - Fabriquer du consensus ?
V - Les contraintes du discours technocratique XV - L'épreuve de la discussion
VI - Le modèle NIP (Noyaux d'Intervention Participative) XVI - L'argumentation dans la délibération politique
VII - La méthode du Panel de Citoyens XVII - Les Conférences de consensus, un avenir pour la démocratie ?
VIII - Écolo : conférences de citoyens & NIP XVIII - Des Conférences de Citoyens
IX - Le sondage d'opinion délibératif . XIX - De l'organisation des Conférences de Citoyens
X - Les forums de discussion XX - Dossier de lecture
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