Le sondage d'opinion délibératif est une méthode
de construction d'une opinion publique, qui consiste à soumettre un
échantillon représentatif de la population à un processus
assez intense d'information et de délibération puis de mesurer
l'évolution des manières de voir des participants sur le thème
abordé.
Le sondage d'opinion délibératif (SOD) est un instrument innovant
de participation citoyenne qui tente d'encourager la délibération
entre citoyens tout en respectant le principe d'égalité politique.
Il a été conçu par le professeur James
Fishkin de l'Université d'Austin (Texas).
Le SOD consiste à réunir un échantillon sélectionné
au hasard parmi l'électorat national pendant quelques jours pour le
soumettre à un processus de discussion de certaines questions politiques.
Ainsi, il donne à tous les citoyens l'opportunité d'être
représenté dans l'échantillon sélectionné,
et permet aux participants de prendre part à un processus d'intense
discussion sur des enjeux politiques. Pendant le processus de SOD, les participants
délibèrent en petits groupes et ont la possibilité de
poser des questions à des experts et à des hommes politiques.
Le processus de SOD peut être diffusé sur une télévision
nationale, de telle sorte que le citoyens puissent suivre les délibérations
de l'échantillon représentatif qui prend part au SOD. Les participants
sont interrogés deux fois, avant et après le processus, sur
les questions politiques qui ont fait l'objet de la discussion.L'hypothèse
sous-jacente du SOD est que les opinions politiques
des citoyen changent lorsqu'ils sont engagés
dans un processus d'information et de délibération.
Par conséquent, comme les participants au SOD sont considérés
comme représentatifs de la population, tous les citoyens, s'ils étaient
immergés dans un processus informatif et délibératif,
en arriveraient aux mêmes conclusions que celles de l'échantillon.
Ainsi, le but du SOD est plus ambitieux que celui des sondages d'opinion traditionnels,
où les citoyens expriment des opinions irréfléchies.
Le SOD permet à un microcosme du pays d'émettre des recommandations,
après avoir été soumis à un processus délibératif.
Jusqu'ici, le SOD a été mis en pratique deux
fois, l'une à Manchester en 1994 et l'autre à Austin
en 1996.
1) Le SOD de Manchester a réuni un échantillon
sélectionné au hasard de 300 citoyens pour débattre de
l'augmentation de la criminalité au Royaume-Uni.
Le défi de l'expérience était de savoir si les participants
changeraient d'opinion au cours du week-end de SOD. Confrontés à
la question "L'augmentation de la criminalité : que pouvons-nous
faire à ce sujet ?", 38 % des participants répondirent
qu'il fallait envoyer plus de condamnés en prison. Ce chiffre contraste
avec les résultats d'une enquête identique adressée à
la population, selon laquelle 57 % des citoyens partageaient cette opinion.
Selon Fishkin, 38 % de la population totale au lieu de 57 % en arriveraient
aux mêmes conclusions au sujet de la criminalité si le pays était
peuplé de citoyens idéaux, c'est-à-dire, de citoyens
bien informés et s'intéressant aux questions politiques.
2) L'expérience de Manchester a inspiré le SOD organisé
à Austin en 1996. Ce SOD, intitulé
The National Issues Convention (NIC), a essayé de connaître
l'opinion des citoyens sur trois thèmes
: la politique étrangère des États-Unis, la politique
économique et le rôle de la famille américaine. Un échantillon
représentatif a été sélectionné au départ,
bien que 141 personnes (à peu près 25 %) aient refusé
de prendre part à l'expérience d'Austin. Avant le week-end de
la NIC, les participants furent interrogés sur les trois thèmes
et reçurent des documents écrits relatifs à ces thèmes.
Durant le processus, ils discutèrent sur les trois thèmes en
petits groupes et eurent l'occasion de poser des questions aux représentants
des partis Démocrate (Al Gore) et Républicain (Richard Lugar).
La NIC a été diffusée par la télévision
nationale CBS et a engendré un intérêt considérable
de la part des médias. A la fin du processus, les participants furent
interrogés à nouveau sur les trois thèmes. Les variations
dans les réponses par rapport aux interviews allaient initiaux de 0
à 19 %. Selon Fishkin, ces variations prouvent que la population arriverait
aux mêmes conclusions que celles exprimées par les participants
pendant le SOD si elle était engagée dans un processus délibératif.
Critiques
Si de nombreux chercheurs ont souligné le haut niveau de la discussion
entre les participants et leur capacité à comprendre des questions
complexes et à s'intéresser à des problèmes collectifs,
le SOD a aussi provoqué des réactions critiques à la
fois en ce qui concerne sa méthodologie qu'en ce qui concerne sa philosophie
sous-jacente.
1) Sur la méthodologie du SOD,
Ladd et Mitofsky ont fait remarquer que l'opinion des citoyens ayant participé
au SOD ne pouvait pas être généralisée à
l'ensemble de la population, à cause de la non-représentativité
des participants, étant donné que 25 % de l'échantillon
initial avait décidé de ne pas prendre part à l'expérience.
Mitofsky identifie une seconde erreur méthodologique dans le fait de
tirer des conclusions du changement d'opinion des participants à la
NIC. Il souligne que pour isoler les variables qui expliqueraient ce changement,
il aurait été besoin d'un second groupe
de contrôle, formé par un même nombre de citoyens
n'ayant pas assisté au week-end d'Austin.
Une autre critique relative à ce changement d'opinion fait référence
à "l'effet Hawthorn", le fait
que les gens peuvent changer de comportement parce qu'ils savent qu'ils participent
à une expérience et qu'ils sont observés. Selon Adair,
le SOD reproduit cet effet, les participants ayant été isolés
de leur environnement quotidien, et sachant qu'ils sont observés à
la fois par les organisateurs et par les téléspectateurs. D'une
manière générale, la plupart des opinions critiques sur
le SOD soulignent que les changements d'opinion ne résultent pas de
conversations d'une heure avec des hommes politiques sur, par exemple, la
politique étrangère, mais plutôt de processus
évolutifs fortement influencés par la famille, l'environnement
social, l'expérience propre et les mass media.
2) Au-delà de la faiblesse méthodologique des SOD, sa philosophie
sous-jacente fait également l'objet d'intenses critiques. Certains
auteurs considèrent le SOD comme un artefact social pouvant avoir des
conséquences dangereuses. Par exemple, Ladd et Trigali font remarquer
que la mise au point de l'ordre du jour a été très sélective,
et que les thèmes abordés à Austin étaient biaisés
et ne correspondaient pas aux sujets de débat centraux de la campagne
présidentielle de 1996. Mais au-delà du possible parti pris
introduit dans la procédure, certains soulèvent des problèmes
de fond quant aux conséquences des SOD pour la démocratie. Certains
auteurs observent que les changements d'opinion des participants au SOD ne
sont pas déterminants étant donné qu'ils correspondent
à un état idéal dans lequel
les citoyens sont immergés dans un processus délibératif
et informatif. A l'inverse, les opinions des simples citoyens expriment les
impressions, les craintes et les intérêts de leur "vraie
vie", et c'est dans cette "vraie vie"
que la démocratie doit être évaluée. Mais au-delà
de cet argument, les détracteurs du SOD considèrent que Fishkin
porte un jugement de valeur sur la démocratie quand il suppose que
les citoyens votent sans avoir une connaissance suffisante des alternatives
politiques, et les opinions 'non-informées' ont moins de valeur que
les 'bien informées' dans les processus politiques. Trigali doute de
la nécessité pour les électeurs d'être parfaitement
informés, que cela soit une condition nécessaire de démocratie,
et que les opinions non-informées soient moins pertinentes dans la
vie démocratique. Pour lui, la définition de la démocratie
inclut le droit de choisir entre des opinions politiques avec une information
limitée.
Nature et validité du "changement d'opinion"
des participants au SOD
Deux données intéressantes ressortent de l'expérience
de Manchester (évoquées par Nonna Mayer dans son article "Le
sondage délibératif" paru dans Le Débat, 96,
sept-oct 97) :
- la variation des opinions est très différente suivant la nature
de la question abordée. Sur le thème
de la peine de mort, par exemple, qui renvoie à des convictions morales
profondes, elle est quasi nulle.
- 'ce ne sont pas les interviewés les
moins instruits, donc probablement les plus ignorants du problème débattu
et de ses implications, ... qui ont le plus évolué, mais les
plus diplômés. Ce qui suggère qu'un niveau culturel élevé,
loin d'être un gage de stabilité des opinions, rendrait plus
réceptif aux arguments adverses, plus ouvert à la discussion
et à la remise en cause'.
Source : Núria Font, "New instruments of citizenship
participation", Working Papers, Institut de Ciències Polítiques
i Socials, Universitat Autonoma de Barcelona, 1998. Les références
bibliographiques ont été supprimées. Traduction de OP.
Aux États-Unis, plusieurs centaines d'organisations civiques et éducatives
se sont fédérées pour débattre ensemble et simultanément
des mêmes thèmes ayant rapport à la vie publique du pays,
aussi bien au niveau local qu'au niveau national.
Les forums de discussion sont des instruments de participation
citoyenne où des citoyens volontaires prennent part à des
discussion sur des enjeux politiques. Ils ne visent pas à influencer
directement les décisions politiques, mais à encourager le dialogue
et la délibération entre les citoyens. Les National Issues
Forums (NIF) constituent l'un des instruments participatifs les plus éminents
existant aux États-Unis qui rentre dans cette catégorie.
Les National Issues Forums sont un type de forum de discussion qui permet
à des simples citoyens d'exprimer leurs opinions politiques et de dépasser
les partis pris techniques, idéologiques et politiques. Ils constituent
un réseau de près de 300 organisations
civiques et éducatives américaines - universités,
écoles, bibliothèques et paroisses, pour en mentionner quelques
unes - qui décidèrent en 1981 de se coordonner et de s'affronter
aux mêmes sujets de débat au niveau national.
Depuis, près de 3200 NIFs, traitant de 3 problèmes politiques
choisis, se tiennent chaque année. Les sujets traités au cours
des dernières années couvrent une grande variété
de sujets, parmi lesquels le rôle de la famille américaine, le
rôle mondial des États-Unis, l'affirmative action ou la réforme
du système de justice civile.
Les NIFs s'inspirent des focus groups, qui consistent à réunir
un groupe réduit de citoyens pour discuter de problèmes politiques
pendant deux ou trois heures. Mais si les focus groups réunissent un
groupe relativement homogène, la participation des citoyens aux NIFs
se fait, au contraire, uniquement sur la base du volontariat.
Avant les discussions, les participants reçoivent des documents écrits
sur les thèmes sélectionnés et répondent à
un questionnaire. Experts et hommes politiques assistent aux rencontres et expriment
leurs opinions. A la fin des débats, les participants décident
s'ils veulent répondre à un questionnaire,
la synthèse des résultats étant alors éventuellement
envoyée à des institutions politiques au niveau local, à
celui de l'État ou au niveau national. Les NIFs locaux choisissent d'ordinaire
des représentants pour participer aux NIFs nationaux.
Limites
En général, les NIFs sont évalués positivement,
en tant qu'ils donnent aux citoyens une occasion de s'engager dans un processus
de délibération collective. De plus, le fait que les participants
ne soient pas soumis à l'influence de groupes d'intérêts
leur permet d'exprimer leurs propres opinions d'une manière spontanée,
le forum devenant réellement délibératif. Toutefois, Crosby
remarque que l'absence de groupes d'intérêts et de témoins
limite les inputs reçus par les participants.
Leur présence permettrait aux citoyens d'analyser en profondeur les thèmes
politiques en débat.
De plus, il observe qu'une évaluation et une discussion profonde n'est
pas possible quand les participants se réunissent pour si peu de temps,
deux ou trois heures n'étant pas suffisantes pour permettre aux citoyens
de peser les pours et les contres de plusieurs options politiques.
En outre, il est difficile d'évaluer le résultat de la discussion
si les participants peuvent choisir de remplir ou non le questionnaire à
la fin du processus. Comme certains d'entre eux décident de ne pas le
faire, probablement ceux qui s'intéressent le moins à la politique,
la synthèse des opinions qui parviendra
aux institutions politiques risque d'être biaisée.
Au-delà de ces critiques, on dit que les NIFs ne sont pas
représentaifs de la population et illégitimes du point
de vue du grand public. Cet aspect est surtout évoqué à
propos des NIFs nationaux, dont les participants sont sélectionnés
parmi ceux qui ont pris part aux NIFs locaux. Toutefois, l'évaluation
des NIFs doit considérer qu'ils ne sont pas destinés à
être représentatifs, mais délibératifs. En ce sens,
les NIFs réalisent leur objectif d'engager
les citoyens dans un processus délibératif,
et les critiques concernant les contributions extérieures, le temps et
la composition peuvent être considérées comme des limitations
mineures.
Source : Núria Font, "New instruments of citizenship participation",
Working Papers, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Universitat
Autonoma de Barcelona, 1998. Les références bibliographiques ont
été supprimées. Traduction de O.P.
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