Hans HARMS - Allemagne 1999
De la nécessité d'une participation citoyenne

Face à la crise de confiance des populations envers leurs gouvernements, il est urgent de définir des processus de prise de décision qui, surtout sur les sujets les plus complexes, accordent une place essentielle à la participation des citoyens.
On observe dans toutes les démocraties occidentales une absence croissante de crédibilité et de légitimité des politiciens et des partis politiques. La participation des citoyens aux élections est scandaleusement faible, et les partis radicaux sont de retour sur le devant de la scène ; se manifeste un sentiment de désillusion généralisée à l'égard des politiciens, des bureaucrates, des lobbyistes et de ceux qui semblent utiliser le pouvoir politique à leurs propres fins plutôt que pour le bien du peuple.
Quelles sont les raisons de cette crise de la démocratie représentative ?
- L'inadéquation croissante de la démocratie représentative.
- L'atténuation croissante des anciennes disparité de richesse, d'éducation et de condition sociale.
- Le changement d'attitude envers les décisions de l'administration.
- L'inadéquation des réponses de la démocratie aux problèmes à long terme.
La modernisation de l'État n'est pas possible sans une modernisation des structures et des procédures de la démocratie. Alors comment impliquer le public dans le processus de prise de décision ?
Le manque de structures garantissant que les questions essentielles, en particulier à long terme, soient inscrites à l'ordre du jour de la vie politique et soient l'objet d'un débat sérieux, nous contraint à devoir changer les procédures de prise de décision administratives, les rendre plus transparentes et ouvertes à la participation des citoyens. Les procédures administratives de préparation et de prise de décision doivent également être en prise avec la complexité sociale et technique croissante du monde actuel. Dans des situations complexes, la nécessité d'un processus de participation aux décisions est souvent tout aussi importante, voire plus, que la décision elle-même. Autrement dit, la validité d'une décision est souvent évaluée en fonction de la rationalité et de la pertinence du processus de prise de décision. Seule la participation du public peut transformer des décisions techniquement adéquates en décisions socialement appropriées.
Le citoyen non impliqué doit avoir les moyens d'assumer son rôle et de se forger ses propres jugements politiques. C'est ainsi que seront créées de nouvelles pistes pour une participation fondée sur le sens commun. C'est grâce à une telle participation des citoyens - et non en développant la bureaucratie - que la politique peut devenir plus humaine dans tous les sens du terme.

Certaines exigences doivent être prises en compte, ces nouveaux instruments et mécanismes doivent :
- être adaptés à une grande variété de projets et ouverts à tous les citoyens.
- pouvoir présenter une information suffisante, pour éviter de prendre de plus en plus de décisions concernant un nombre croissant de questions que le public connaît mal (réduire l'avantage dont jouissent les experts).
- susciter une motivation à participer, en garantissant le sérieux du projet et l'aboutissement à une action concrète qui sera répercutée à travers les procédures de prise de décision.
- agir en faveur du bien commun. En distribuant à tous et au hasard le droit de prendre part au processus décisionnel, on s'assure que tous les intérêts organisés sont à la fois exclus et inclus. Il s'agit de neutraliser, ou du moins de limiter les intérêts individuels, les ambitions personnelles : le groupe qui prend la décision ne peut développer le moindre intérêt organisationnel en tant que groupe. Tout cela crée une situation dans laquelle les participants peuvent soutenir le bien commun.

Source : Hans Harms, "Les incapacités du système de représentation démocratique à répondre aux problèmes environnementaux - de la nécessité de la participation des citoyens".
Contact : Hans Harms, avda. de Madrid 34,11°B, E-20011 San Sebastián, Espagne. Tel/fax : (34) - 943 - 47 53 38..


Bernard Marin - 1998
L'épreuve de la discussion

Un retour sur les origines théoriques des gouvernements représentatifs actuels permet de mettre en lumière le principe politique de la délibération, qui est à la base du fonctionnement démocratique des assemblées.

Il est courant aujourd'hui de caractériser le gouvernement représentatif comme "gouvernement par la discussion". Pourtant, les premières mises en valeur de cette notion de discussion ne datent que du XIXe siècle et non pas des XVIIe et XVIIIe siècles, c'est-à-dire de l'époque où le principe de la représentation a commencé à être formulé et mis en œuvre.
Il n'est pas douteux cependant que l'idée de représentation ait été associée dès l'origine à celle de discussion. Ce lien se comprend par l'intermédiaire d'une troisième notion, celle d'assemblée, c'est-à-dire une instance composée d'une pluralité d'individus. Il aurait été possible de concevoir la représentation comme représentation du peuple entier par un seul individu. Si tel n'a pas été le cas, selon Carl Schmitt, c'est qu'il existait une croyance préalable et plus fondamentale dans les vertus de la discussion comme moyen d'arriver à la vérité (la vérité étant censée faire loi).
Pourtant, chez les auteurs de cette époque, on s'aperçoit que le principe du gouvernement par une assemblée n'est jamais déduit d'un raisonnement préalable sur les bienfaits de la discussion. Au contraire, le lien entre représentativité et assemblée pluraliste semble considéré comme quelque chose qui va de soi. Cela est peut-être dû en partie à l'héritage de l'histoire, qui a vu les vieilles assemblées de l'Ancien Régime se transformer, brutalement (France) ou non (Angleterre), en assemblées représentatives. En outre, l'idée du gouvernement représentatif est toujours apparue solidaire d'une certaine acceptation de la diversité sociale : elle a été proposée comme par défaut, pour remédier à l'impossibilité d'une démocratie directe à l'antique dans des états aussi grands et peuplés que la France ou l'Angleterre.
C'est à partir de ce caractère à la fois collectif et divers de l'assemblée que s'explique le rôle conféré à la discussion. Il s'agit, dans un organe représentatif basé sur l'hétérogénéité et l'égalité des différentes volontés, de faire en sorte que les participants cherchent à gagner le consentement des autres au moyen de la persuasion.
Le passage que Siéyès consacre au principe de la discussion dans son pamphlet "Vues sur les moyens d'exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789" éclaire plusieurs aspects cruciaux de ce problème. La discussion doit permettre d'éviter à la fois une trop grande discordance entre les membres de l'assemblée et le recours à l'intervention de la volonté supérieure d'un seul : "Ce qui vous paraît un mélange, une confusion propre à tout obscurcir, est un préliminaire indispensable à la lumière. Il faut laisser tous ces intérêts particuliers se presser, se heurter les uns avec les autres (...) Dans cette épreuve, les avis utiles, et ceux qui seraient nuisibles se séparent; les uns tombent, les autres continuent à se mouvoir, à se balancer jusqu'à ce que, modifiés, épurés par leurs effets réciproques, ils finissent par se fondre en un seul avis."
La discussion remplit ainsi la fonction d'"épurer" les intérêts particuliers et de produire ainsi un accord et un consentement sur l'intérêt général. La discussion ne constitue donc pas en elle-même le principe de décision. Il faut au contraire les distinguer rigoureusement. C'est le principe de majorité qui rend possible la décision, non pas en raison d'une quelconque référence au vrai ou au juste, mais simplement parce qu'il faut bien décider et agir. La discussion en elle-même ne comporte aucun principe d'arrêt : celui-ci vient de l'extérieur, de l'ensemble des contraintes temporelles et spatiales dans lesquelles doit s'inscrire l'action politique (au contraire, par exemple des discussions savantes qui peuvent continuer indéfiniment).
On peut donc formuler ainsi le principe du gouvernement représentatif : une mesure quelconque ne peut acquérir valeur de décision que si elle a emporté le consentement de la majorité à l'issue d'une discussion. Ce qui distingue ce type de gouvernement, ce n'est pas l'origine des propositions, ni la manière dont elles sont décidées et mises en œuvre, mais le processus délibératif auxquelles elles doivent être soumises, qui doit produire le consentement de tous à l'intérêt général.
Cette approche permet d'expliquer, par exemple, que le principe du gouvernement représentatif ait été compatible avec le développement et le rôle croissant des bureaucraties dans la conception des politiques menées. Elle souligne aussi que le régime représentatif n'est pas une forme indirecte ou médiatisée de gouvernement par le peuple, mais un régime où le jugement de la collectivité joue un rôle central et discriminant. Comme le dit pour conclure Bernard Marin, "la démocratie représentative n'est pas un régime où la collectivité s'autogouverne, mais un système où tout ce qui tient au gouvernement est soumis au jugement public."
Ce retour aux origines théoriques de nos régimes représentatifs permet de dégager une dimension de la citoyenneté sensiblement différente de l'approche qui se restreint à la "participation aux processus de prises de décision". La pratique délibérative évoquée ci-dessus peut et doit en effet être reprise 'hors les murs' du Parlement national, dans la société civile.

Un court retour en arrière plus loin dans l'histoire des conceptions politiques permet d'éclairer sous un jour nouveau cette pratique de la discussion et de la délibération. La notion d'épuration des intérêts particuliers qui ressort du texte de Siéyès semble en effet faire écho aux analyses d'Aristote sur la fonction de la tragédie grecque dans le cadre de la cité démocratique, et en particulier du concept de 'katharsis' (purgation, épuration). De manière un peu laconique, Aristote souligne que le spectacle tragique opère sur le public une 'épuration' des sentiments de terreur (qui renvoie à la peur de l'autre et à la tentation de le dominer par la force et la contrainte - au fait d'imposer son propre intérêt) et de pitié (qui renvoie à une trop grande compassion pour l'autre, tout aussi dangereuse pour l'état social - au fait de se soumettre aux intérêts de l'autre). Dans cette perspective, la tragédie semble donc la traduction politique ou 'sociologique' d'un rituel religieux de purification permettant à la communauté d'assumer sa pluralité. N'y a-t-il pas lieu, à partir de là, d'établir un lien entre représentation politique et représentation théâtrale, et de s'interroger sur le rôle potentiel des pratiques et des logiques de l'art dans la production d'espaces de délibération collective et de perspectives de jugement public ?

Source : Bernard Marin, "Principes du gouvernement représentatif", Calmann-Lévy, 1995.


- 1995
L'argumentation dans la délibération politique

L'analyse de la délibération politique permet d'en souligner deux dimensions essentielles qui sont au fondement de l'espace public démocratique : l'apprentissage collectif et la clarification des termes du débat d'une part, et d'autre part le fait qu'elle mette au centre des discussions des valeurs qui sont contestables par nature, ce qui la distingue radicalement de toute espèce de discours scientifique.
Les procédures de décision publique dans nos régimes démocratiques modernes se règlent selon trois types de procédures : la discussion, le vote et la négociation. Du point de vue institutionnel, seules les deux premières sont décisives, même si en pratique les procédures de vote et de délibération se combinent souvent avec des recherches de compromis.

La délibération collective peut remplir deux fonctions principales. D'abord, elle peut permettre une rationalisation et une clarification des propositions en concurrence. En confrontant les thèses concurrentes, elle permet aux participants de mieux comprendre les propositions en jeu, mais également le contexte dans lequel s'inscrivent ces propositions, ce qui peut les amener parfois à modifier leur position. D'autre part, la délibération permet aux parties de rendre leurs propositions plus précises et plus cohérentes.
En ce sens, on peut souligner que la délibération collective implique toujours une dimension d'apprentissage. C'est pourquoi il serait absurde de prétendre que la délibération démocratique n'est pas viable puisque les individus pris séparément ne sont pas tous capables de se former une opinion cohérente. Il faut tenir exactement le raisonnement inverse et souligner que ce sont précisément les processus de délibération collective démocratique qui permettent la constitution d'opinions cohérentes.

Un aspect essentiel de la délibération est la nécessité du recours à l'argumentation. Il ne s'agit pas seulement de formuler une proposition cohérente, mais aussi de savoir la justifier face aux propositions concurrentes, en explicitant et en mettant au centre du débat les valeurs économiques, culturelles, politiques, sociales et morales qui les sous-tendent. D'un point de vue pragmatique, il s'agit de susciter l'adhésion d'une majorité de participants en prévision du vote qui devra suivre la délibération. Pour susciter l'adhésion la plus large possible, les parties doivent s'efforcer d'établir que leurs propositions non seulement sont acceptables par telle audience particulière, mais aussi susceptibles de convaincre, à la limite, un auditoire universel idéal composé de tous les êtres raisonnables. D'un point de vue pragmatique et stratégique, l'argumentation vise toujours d'une certaine manière une forme de consensus : une justification n'est valable que si elle peut faire la preuve qu'elle découle de valeurs pouvant faire l'objet d'un accord universel virtuel. Il faut donc souligner l'ambiguïté de cette notion d'argumentation, qui oscille perpétuellement entre la visée de la validation universelle et une visée purement stratégique cherchant à provoquer, voire extorquer, le consentement de tel auditoire particulier.
On voit ainsi que la délibération et l'échange d'arguments, si elles impliquent d'une certaine manière un processus d'apprentissage et de rationalisation des propositions, ne sont pas à l'abri d'un détournement à des fins purement stratégiques.
De toutes façons, il apparaît plutôt improbable qu'un processus de délibération conduise à un accord unanime de tous les membres de la communauté. Cela tient à deux types de raisons :
* d'un point de vue historique, à la nature de la société démocratique, où le bien-fondé des normes collectives doit faire l'objet d'un débat incessant. La société démocratique s'est construite en réponse à une incertitude fondamentale qui se traduit par la perte de toute forme de légitimité extérieure à la société ou transcendante, et donc soustraite au débat.
* d'un point de vue logique, à la nature de l'argumentation qui, au contraire de la démonstration scientifique par exemple qui repose sur des hypothèses partagées, s'appuie sur des jugements de valeurs, par nature soumis à la contestation.

On voit ainsi combien les processus délibératifs et argumentatifs sont intimement liés à la nature de la démocratie moderne, y compris dans leur fragilité. On voit aussi la différence radicale qui existe entre les débats démocratiques et toute forme de discours scientifique. Au-delà des procédures institutionnelles formalisées, la délibération et l'argumentation renvoient aux conditions de possibilité fondamentales d'une société démocratique.

Source : Ph. Gérard, Droit et démocratie, FUSL, 1995, pp. 171-180 : "La délibération politique".

I -Les aspects fondamentaux des conférences de Consensus XI - Grande Synthe : la participation à l'échelle du projet urbain
II - Débats publics sur les choix technologiques : l'expérience danoise XII - Les expériences participatives dans la région de Bâle
III - L'impact des conférences de consensus au Danemark XIII - De la nécessité d'une participation citoyenne
IV - Publiforum : une manière d'évaluer avec les citoyens XIV - Fabriquer du consensus ?
V - Les contraintes du discours technocratique XV - L'épreuve de la discussion
VI - Le modèle NIP (Noyaux d'Intervention Participative) XVI - L'argumentation dans la délibération politique
VII - La méthode du Panel de Citoyens XVII - Les Conférences de consensus, un avenir pour la démocratie ?
VIII - Écolo : conférences de citoyens & NIP XVIII - Des Conférences de Citoyens
IX - Le sondage d'opinion délibératif . XIX - De l'organisation des Conférences de Citoyens
X - Les forums de discussion XX - Dossier de lecture
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