Etats Généraux de L'Ecologie Politique
Frédéric PIGUET - 2000
Les Conférences de consensus, un avenir pour la démocratie ?

 

Le nombre des décisions engageant la sphère publique augmente très rapidement sous l'effet de l'expansion de la technosphère. Les conférences de consensus ne représentent-elles pas une solution possible pour gérer démocratiquement cette évolution ? Plus l'emprise de l'homme sur le monde augmente, plus les modes d'intervention par la technique se multiplient, et plus apparaissent les frictions entre les différents intérêts concurrents. Montrer que les CFC des inoffensives bombes aérosol menacent la couche d'ozone donne immédiatement une dimension politique au gaz propulseur des laques à cheveux. Ainsi, le nombre des décisions politiques à prendre augmente au fur et à mesure du développement des techniques. La multiplication sans précédent des décisions nécessaires à la vie en société représente un nouveau défi pour la démocratie. Comment gérer cette inflation alors que diminue le temps que chacun consacre à la chose publique ? La conférence de consensus peut-elle constituer une alternative crédible tant à la démocratie directe qu'à la démocratie représentative ?

Qu'est-ce que la conférence de consensus, et que promet-elle ?
Le principe de la conférence de consensus est de réunir un échantillonnage de la population et de le mettre en situation d'expertise. Les dix ou vingt personnes qui sont choisies le sont par tirage au sort, mais celui-ci est fait de telle sorte que les principales composantes de la société sont représentées. Cependant, les personnes qui font partie de groupes de pression connus seront par la suite éliminées, pour éviter qu'elles s'opposent sur un mode convenu d'avance, selon les règles stratégiques que les groupes d'intérêts cultivent volontiers. Le jury ainsi réuni, car c'est un jury, reçoit des bases solides sur le sujet qu'il doit instruire. Ensuite, ce groupe convoque des experts de différents horizons et disciplines pour les questionner sur les enjeux du sujet traité. Mis en décision de décider, ce jury est capable de ne pas se laisser manipuler par les experts, d'exiger de ceux-ci des réponses claires.
D'une part, dans un régime de démocratie directe, ce mode de décision paraît avoir l'avantage de la souplesse puisque le jury est un échantillon du peuple et qu'ainsi toute la population n'a pas à être convoquée pour décider d'une orientation technologique majeure.
D'autre part, dans une démocratie représentative, la conférence de consensus - en réunissant des gens d'horizons divers non membres de groupes de pression - évite que les membres du jury agissent en lobbyistes, défendant d'un seul bloc un ensemble d'intérêts cohérents. Il s'agit clairement d'éviter un gouvernement des experts. En évitant ces deux écueils, la conférence de consensus est-elle pour autant démocratique ?

Le jury d'assises comme base de la conférence de consensus ?
A vrai dire, la conférence de consensus a un atout majeur à faire valoir. C'est que son principe est basé sur le jury d'assises qui est à la base de l'administration de la justice dans les régimes démocratiques. Le jury d'assises, dont les responsabilités sont énormes puisqu'il a longtemps eu en France par exemple la compétence de condamner à mort, est réuni par tirage au sort. Innovation majeure que de sélectionner de cette manière dans le peuple les personnes habilitées à juger d'une importante affaire ! Historiquement, toutefois, cette innovation a dû vaincre bon nombre d'oppositions pour s'imposer.

Synthèse : le thème de la conférence
Jusqu'alors plus improvisées qu'institutionnalisées, les conférences de consensus et autres procédures assimilées posent la question d'une réforme fondamentale de la démocratie par un enrichissement des types de procédures décisionnelles. En d'autres termes, ces nouvelles procédures peuvent-elles prétendre à être institutionnalisées, inscrites dans les textes, voire dans la Constitution d'un Etat ?

Pour répondre, il convient d'effectuer deux mouvements opposés. L'un, bien sûr, consiste à traiter des questions d'actualité pour répertorier les diverses expériences faites récemment sur ce types de procédures dans différents pays afin d'en dégager les enseignements. L'autre consiste à prendre du recul, à interroger l'histoire pour comprendre et illustrer l'avènement du jury d'assises, pour saisir la nature des oppositions qui avaient été soulevées contre son institutionnalisation. Avec ces deux mouvements, exécutés pendant les mêmes Etats généraux de la conférence de consensus, la question de l'institutionnalisation de ce type de procédures pourra être posée en profondeur.

Premières hypothèses concernant le déroulement de ces Etats généraux de la conférence de consensus, sommaire des débats 1) La spécificité des problèmes soulevés par le développement de la technosphère. 2) Bilan des expériences en matière de conférence de consensus et autres procédures assimilées. 3) Mise en perspective historique de la conférence de consensus à l'aune essentiellement du jugement d'assises et de l'instauration de la démocratie participative.
Synthèse. Faut-il institutionnaliser la conférence de consensus dans la perspective d'une mise à jour de la démocratie ? Et comment ?

Source : Texte original
Contact : Frédéric Piguet / rue Voltaire 12 / CH-1201 Genève / fpiguet@worldcom.ch / tél-fax : ++ 22 344 10 40


Matthieu CALAME - FPH (Fondation Charles Léopold Mayer) 2000

Des Conférences de Citoyens

 
S'inspirant du modèle judiciaire les conférences de citoyens peuvent trouver une place dans le cadre constitutionnel actuel. Elles renouvellent la réflexion sur les régimes politiques et ont montré leur efficacité pour résoudre des questions réputées 'complexes'. Leurs principes de fonctionnement mettent en évidence les entraves actuels à la démocratie, dictature de l'urgence, omniprésence de jargons hermétiques.

Des conférences de consensus dans le cadre actuel
Si l'on analyse les modes de fonctionnement des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire, on peut remarquer que l'un au moins de ces pouvoirs utilise depuis longtemps la formule. En fait il en est même l'origine car la conférence de citoyens s'inspire directement de la tradition judiciaire. Dans le cas de la France, les jurys d'assise jugent les délits graves et dans ce genre de procédure il est interdit de faire appel de la décision du jury. On peut faire remarquer qu'à l'évidence un jury peut se tromper, il n'en reste pas moins que nous avons bien là dans les principes fondamentaux de notre démocratie la reconnaissance de la légitimité reconnue à un petit groupe issu du peuple par des moyens non électifs de se prononcer au nom du peuple français. Il est donc aisément concevable que ce système voie son champ de compétence étendu pour décider de choix technologiques ou de questions de politique énergétique.

Dans un essai incisif intitulé 'l'emblème démocratique' François de Bernard en s'appuyant notamment sur les réflexions d'Aristote juge durement le régime français actuel en dénonçant son fonctionnement fondamentalement oligarchique. Sa critique se fonde sur une définition de base assez simple des critères de la démocratie : est démocratie un régime dans lequel la probabilité pour chacun d'être tour à tour gouvernant et gouverné est la même. Il est évidemment difficile dans des sociétés beaucoup plus grandes d'appliquer ces principes, néanmoins ils nous aident à nous interroger sur le degré de 'démocratie' de notre régime actuel. Disons le tout net : certains 'citoyens' n'ont absolument aucune chance d'être un jour gouvernant quand d'autres le sont par profession. On peut aisément imaginer les dérives d'un tel système dans lequel se crée une 'classe' de gouvernants et une classe de gouvernés, les gouvernants sacrifiant nécessairement les enjeux à long terme à la nécessité à court terme de se faire élire.

Je vais maintenant m'attacher à démontrer en quoi les conférences de citoyens sont des outils imparfaits mais beaucoup plus robustes que ne l'imaginent leurs détracteurs et montrer en quoi ils offrent une réponse originale aux impasses du régime actuel.

De la notion de compétence
Première critique généralement formulée, la question de la compétence. Un jury populaire est-il à même de se pencher sur des questions concernant par exemple la science ou les politiques énergétiques ? Sera-t-il capable de comprendre des problèmes complexes ?

Avant de répondre il est intéressant d'observer le cas concret de la conférence sur les OGMs qui a eu lieu en France. Patrick Legrand, membre du conseil économique et social et observateur de la conférence rapporte que les administrateurs de l'assemblée chargés d'organiser la conférence eurent trois surprises. La première c'est que les personnes choisies (le panel) s'étaient déplacées (même un week-end), deuxièmement qu'elles avaient écouté sérieusement et avaient compris les enjeux assez facilement, troisièmement qu'elles avaient refusé l'aide qu'on leur proposait pour rédiger leur compte-rendu. J'ajouterai que ce compte rendu était certes discutable mais qu'il s'agissait de l'une des prises de paroles publiques les plus équilibrées, les plus sereines et les plus raisonnables que l'on a pu entendre sur ce dossier.

La foi dans la démocratie et la préférence qu'on lui porte par rapport à un gouvernement d'experts et de professionnels repose au fond sur une idée qui peut apparaître comme un paradoxe : c'est l'idée que des points de vue faux (ou simplement partiels) en se confrontant engendrent une opinion 'vraie'. Cela peut s'expliquer très simplement par la nature même des questions politiques. La plupart des décisions politiques n'ont rien à voir avec la résolution d'un problème de mécanique pour lequel si je connais les données il m'est possible de trouver la solution. La bonne analyse d'un problème politique est d'abord basée sur une bonne connaissance de l'ensemble des enjeux, des perceptions et des points de vues des parties, lesquelles ne sont pas toujours connus des experts car ceux-ci sont souvent issu d'un milieu restreint (quand ils ne sont pas juges et parties !) dont l'angle d'attaque du problème est restreint : en d'autres termes le problème n'est pas la qualité de la réponse qu'ils apportent mais la manière tronquée dont ils posent et formulent la question. Or, quelle meilleure méthode existe-t-il pour faire l'inventaire des points de vue que d'avoir justement des citoyens 'ordinaires' qui peuvent se faire l'écho de voix et de préoccupations souvent ignorées ou négligées par les 'experts ? En fait les jury de citoyens posent généralement mieux les questions que les experts. Ainsi sur les OGMs une des propositions finales du panel n'a rien à voir avec l'ocuité ou l'innocuité des organismes génétiquement modifiés : il s'agit que les 'experts' qui rendent un avis public rendent également public l'ensemble des contrats qui les lient à des entreprises privées… En l'occurrence notre poignée de citoyens avait clairement perçu les enjeux économiques à l'œuvre qui étaient susceptibles de fausser considérablement la sérénité de débats que l'on prétendait candidement cantonner à des aspects 'techniques'. Leur regard avait bien englobé plus largement et finalement de manière plus pertinente les enjeux de la question.

De la rareté des questions complexes
Le mot 'complexe' est à la mode. Sans nier l'existence de questions complexes, cette multiplication est un rien suspecte et mérite donc que l'on s'interroge sur la nature de la complexité. Ou bien la question est intrinsèquement complexe, c'est à dire que pour en saisir l'énoncé il faut effectuer un effort intellectuel que seuls des esprits exercés à ce genre de pratique peuvent aisément mener à son terme. Ou bien la question peut se poser en des termes simples et avoir des réponses également simples à formuler mais aucune réponse 'simple' dans le sens : évidemment meilleure que les autres réponses et satisfaisant l'immense majorité de la population. Les réponses possibles à la question peuvent donc être simples à énoncer mais le choix entre les réponses possibles peut être complexe à vivre pour le décideur qui se trouve tiré à la hue et à la dia par des intérêts contradictoires.

Dans les faits le premier type de question est en politique extrêmement limité. Par contre les questions publiques sont par essence des dilemmes puisque pour reprendre l'idée de Patrick Viveret les questions pour lesquelles il existe une réponse satisfaisante pour toute les parties ne deviennent jamais publiques. Une question publique est une question pour laquelle une telle réponse n'existe pas et qui demande un arbitrage. C'est pourquoi d'ailleurs les appareils de décision raffolent de l'opacité et se gardent bien de faire de la publicité sur une question dès lors qu'elle est un peu 'complexe', c'est à dire qu'elle est susceptible de le devenir en devenant publique. Il est bien plus sûr de ne rien en dire et de prendre la décision dans le plus grand secret car une question complexe si elle est publique peut être simple si elle est cachée, il y a un lien évident entre publicité et complexité. Si l'on n'admet pas le principe de realpolitik selon lequel même la démocratie demande une marge d'opacité et d'ignorance, si l'on ne s'en remet pas à une élite que l'on espère bienveillante, alors il faut admettre que de multiples questions doivent être mises en débat. Dès lors et comme il n'est pas possible de débattre de tout tous ensemble, et que par ailleurs il est difficile à une personne seule de supporter la responsabilité de décisions incertaines, il faut trouver une autre procédure.

C'est là bien évidemment que la conférence de citoyens offre une réponse magistrale. La décision prise l'est par un groupe et au besoin à l'issue d'un vote. Certes les débats peuvent être houleux et la rédaction difficile, mais la nécessité de choisir et de choisir pour tous et pour soi impose nécessairement d'aboutir à un consensus. Ainsi, les questions complexes pour une personne, les dilemmes, ne le sont pas pour un groupe. C'est pourquoi la conférence de citoyens se présentent comme une excellente réponse aux problèmes politiques compliqués et à la judiciarisation de la vie politique.

De l'intelligence des citoyens quant ils sont en situation de décision
On peut craindre que l'intelligence des personnes présentes dans les conférences de citoyens ne soient pas à la hauteur des enjeux. Mais ce serait ignorer deux choses.
La première est que la plupart des gens sont mal informés tout simplement parce qu'ils n'ont pas eu le temps de le faire c'est à dire de recevoir une information suffisante, d'en débattre, de la digérer et finalement de se forger une opinion personnelle. Or, un processus de conférence de citoyen diffère fondamentalement d'un vote ou d'un sondage par le fait même que le temps et les moyens sont procurés au jury pour se forger une opinion.
La seconde c'est que l'intelligence procède d'un effort, effort que l'on consent à effectuer que si il y a un enjeu. Pourquoi le citoyen devrait il se comporter de manière intelligente alors que la mobilisation de son intelligence ne sert à rien dans le régime politique actuel ? Il réserve son intelligence pour là où elle a quelque chance d'être efficace. De fait la conférence de citoyen a bien montré que dès lors que des individus sont conscients de l'enjeu, qu'ils se sentent investis d'une mission, mission dont la bonne exécution requière leur intelligence, alors ils sortent leur intelligence de leur poche et se révèlent tout à coup beaucoup plus fins que ce que l'on pouvait supposer.

De la dictature de l'urgence
Mais, pourra-t-on objecter, si la compétence ne fait pas défaut aux conférences de citoyens, cette compétence ne peut être que le fruit d'un processus long puisqu'il faut du temps pour s'approprier une question. Et, malheureusement, bien souvent en politique l'urgence commande de faire vite ce qui rend vain l'espoir de voir se généraliser ce type de conférence.

Je n'en suis pour ma part pas si sûr et je crois que l'immense majorité des décisions structurantes de la vie publique ne requiert ni hâte ni précipitation pour peu que l'on ne se soit pas laisser surprendre. Car, certes, il faut le reconnaître, la démocratie est incompatible avec l'urgence. L'urgence impose la dictature comme seul mode de règlement des problèmes. Mais que déduire de cela sinon que c'est donc un préalable à l'action démocratique que de tout faire pour minimiser le nombre de situations d'urgence. Il n'y a de démocratie que dans l'anticipation des problèmes. Avant d'être participative ou représentative une démocratie doit d'abord être anticipative !

Dans bien des cas l'urgence de la décision est souvent un artifice. Toute personne ayant eu à prendre une décision ou à demander à quelqu'un de prendre une décision connaît la signification de l'expression 'arracher une décision'. De même toute personne sait que lors des négociations l'un des ressort psychologique le plus souvent employé consiste à mettre la pression sur son partenaire en le pressant de se décider souvent en sous-entendant qu'une non-décision serait catastrophique et qu'il en porterait la responsabilité. L'urgence proclamée est souvent une manipulation visant à couper cours au débat et à la réflexion. S'il y a une 'urgence' politique c'est bien celle de dénoncer partout la dictature de l'urgence qui permet à l'essentiel des problèmes d'échapper purement et simplement au débat public.

Jargon et usurpation
Il est un autre moyen extrêmement efficace car robuste et simple d'éliminer tout débat démocratique en le rendant impossible et c'est l'emploi des jargons. On sait que tout milieu social tend à créer une langue hermétique dont l'origine répond à deux besoins l'un légitime et l'autre moins, à savoir : 1) affiner les concepts et créer des nuances nécessaires à l'avancement de la pensée, 2) créer un territoire linguistique qui permette de se reconnaître de se différencier du reste de la population., et de créer un espace de pouvoir.

L'efficacité d'un tel territoire linguistique est renforcé par le fait qu'au moins en France l'éducation fonctionne sur un mode de culpabilisation du non savoir : en cas d'incompréhension c'est la personne qui écoute qui est en faute. Dès lors la plupart des personnes sont réticentes dans la vie courante à admettre qu'elles n'ont rien compris parce que leur premier réflexe est de se sentir coupables de n'avoir rien compris et non pas de demander à leur interlocuteur de se réexpliquer. Ce sentiment d'infériorité est soigneusement entretenu dans le quotidien des personnes par des jargons administratifs qui rendent la moindre facture de téléphone ou le moindre courrier de votre banque proprement incompréhensible. Le procédé malheureusement est grossier, mais ô combien efficace, qui consiste à rendre absolument incompréhensible la communication pour prévenir toute contestation. C'est une manière particulièrement vicieuse d'être transparent (l'information a bel et bien été transmise) sans l'être (en fait la personne cible ne pouvait tout simplement pas la recevoir). La prolifération des jargons menace d'ôter aux individus la maîtrise des rouages essentiels de la société et menace gravement la démocratie dans son vécu quotidien. L'expression 'nul n'est censé ignorer la loi' devient une farce dès lors que l'on pose comme condition préalable à sa connaissance et à sa compréhension de faire cinq années de droit !

Donner la possibilité aux électeurs d'exercer leur raison, voilà un antidote à la manipulation de l'opinion. Mais le veut-on vraiment et comment, lorsque l'on entend dénoncer la nature irrationnelle et instable de l'opinion publique, ne pas songer qu'on refuse souvent aux citoyens les moyens d'exercer leur raison ? Comment 'raisonnablement' demander une opinion 'raisonnable' quand l'objet même du débat est présenté de telle sorte qu'il est quasiment impossible d'exercer sa raison ? Condamner la 'jargonite' et en traquer les effets dans la vie publique est donc un préalable à l'établissement d'une vie publique démocratique et l'on verra que les conférences de citoyens sont un moyen efficace de lutter contre elle.

Contact : Matthieu Calame. FPH. 38, rue Saint-Sabin, 75011 Paris. Tel: 01 43 14 75 75. Fax: 01 43 14 75 99. E-mail: mac@fph.fr


Matthieu CALAME - FPH (Fondation Charles Léopold Mayer) 2000

De l'organisation des Conférences de Citoyens

 
Plusieurs éléments concourrent à l'efficacité des Conférences de Citoyens : un champ d'application illimité ; plusieurs modes de convocation ; une 'enquête' préliminaire s'inspirant du modèle judiciaire ; une organisation équilibrée des prises de parole ; un déroulement permettant le dialogue ; des décisions au statuts différents ; un système relativement peu coûteux qui conforte le législatif.Pour ceux qui sont convaincus de l'intérêt fondamental des conférences de citoyens pour le renouvellement de notre vie publique, il est intéressant d'essayer d'imaginer ce que pourrait être en théorie leur champ d'application, leur mode d'organisation et leur articulation avec des modes démocratiques plus traditionnels.

Leur champs d'application
En tant que procédure démocratique leur champs d'application est très large puisque l'on peut les concevoir aussi bien à l'échelle d'une municipalité qu'à l'échelle d'un état et qu'elles permettent aussi bien d'aborder des questions d'urbanisme (elles peuvent avec intérêt remplacer les commissaires lors des enquêtes publiques) que des questions de politique énergétique ou des questions de politique de l'éducation. Elles sont évidemment à recommander dès lors que les négociations entre partenaires traditionnels sont en situation de blocage ou de toute évidence faussées par l'attitude d'un des acteurs. On ne saurait trop également encourager chaudement les administration à soumettre l'ensemble de leurs textes officiels ou de communication à des comités de lectures fonctionnant selon le principe des conférences de citoyens… Santé, éducation, retraite, toute question peut faire utilement l'objet d'une conférence de citoyens.

Leur convocation
Qui décide de convoquer une conférence de citoyens ? Il est vraisemblable que la réponse à cette question est multiple. Il semble évident que le pouvoir représentatif doit pouvoir le faire. Mais il est sage de donner ce pouvoir au législatif plus qu'à l'exécutif, l'exécutif pouvant y voir un moyen de court-circuiter le législatif, néanmoins la réflexion est encore embryonnaire. En ce qui concerne le législatif, on peut soit attribuer un pouvoir de convocation à chaque élu ou, si ce pouvoir paraît excessif, exiger un quota d'élus (10% un quart ou un tiers) en tout état de cause il est important tout de même qu'il suffise d'une fraction modérée d'élus pour convoquer car si le quota était trop élevé, la conférence de citoyens resterait un outil extrêmement marginal.
Il est extrêmement important que cette voie représentative de convocation soit complétée par une voie plus directe. Deux solutions sans doute complémentaires se présentent :
- premièrement le mode pétitionnaire : une association réussissant à réunir, par exemple, 500.000 signatures peut obtenir la convocation d'une conférence.
- Mais il est également important de constituer un greffe qui puisse recevoir les demandes plus isolées. En clair tout corps de la société voir tout individu doit pouvoir déposer au greffe une demande d'organisation de conférence dès lors qu'il juge qu'elle est nécessaire. Un comité, lui aussi tiré au sort pour une année, statuera de la recevabilité ou non de la demande. Si l'on peut craindre des phénomènes d'engorgement, l'établissement d'une jurisprudence permettra assez vite d'écarter les demandes farfelues.

La préparation des dossiers
L'enjeu est comparable à celui d'une enquête puisqu'il s'agit en amont de la conférence de collecter un maximum d'informations factuelles et de points de vue pour permettre au jury de compléter sa propre opinion et pour mener un débat. Il est donc nécessaire de nommer des 'enquêteurs' comparables aux juges d'instruction. Ces enquêteurs peuvent former une branche administrative comparables aux administrations attachées aux parlements (sénat et assemblée nationale). Il est important qu'ils ne soient pas experts des questions traitées mais qu'ils fassent preuve de compétence en terme de préparation des dossiers, tout un savoir faire à élaborer. Ce personnel doit faire un minimum de présélection des personnes appelées à témoigner lors de la conférence. Le travail de ces administratifs doit être public (au contraire de l'instruction judiciaire). Les initiateurs de la conférence (que ce soit des députés, des pétitionnaires ou des particuliers ayant saisi le greffe) ont un droit automatique à être entendu par le comité de citoyens lors de la conférence ainsi qu'à verser au dossier un argumentaire qui soit présenté dans l'appel à convocation et une liste d'intervenants, les 'témoins'.
A la veille de la conférence, le jury doit donc disposer :
- d'un dossier complet et lisible résultat du travail de collecte de l'enquêteur comprenant une synthèse et des pièces
- Deux listes de 'témoins' potentiels, établies indépendamment l'une par l'enquêteur l'autre par les convocateurs. Chaque témoin est présenté brièvement et a rédigé un texte d'une page sur son opinion sur la question.

Le choix du jury
Les membres du jury seront tirés au sort et la participation sera obligatoire sauf raisons graves suivant en cela le modèle des jurys d'assises. Les jurés seront rémunérés sur une base identique. Une information sur leur fortune personnelle avant et après la conférence doit prévenir les risques de corruption.

Leur déroulement
Le déroulement de la conférence se fait en deux temps.
- Une première période de deux à trois jours avec lecture des documents et audition sur une journée de l'enquêteur puis des convocateurs. A l'issue de cette période, les convocateurs désignent 10 % des témoins, puis le jury désigne 80 % des témoins, le jury peut d'ailleurs désigner des témoins qui ne soient présents sur aucune des deux listes, enfin l'enquêteur désigne les derniers 10 % des témoins ceci afin d'assurer un minimum de représentation de toute les parties.
- Une deuxième période d'une semaine (deux maximum) permet l'audition des parties. Chaque 'témoin' peut être interrogé soit par les membres du jury, soit un représentant des convocateurs, soit l'enquêteur. Un témoin peut être rappelé à témoigner.
- Troisième période, à l'issue de l'audition, le jury dispose de deux jours pour rédiger ses conclusions.

Portée de la décision
Plusieurs possibilités se présentent.
La première est que les conclusions soient purement informatives. Néanmoins elles doivent au minimum faire l'objet d'une publication dans le journal officiel.
La seconde est que les conclusions fassent l'objet d'un débat parlementaire public.
La troisième est que les conclusions aient valeur de décision.
La quatrième que les conclusions fassent l'objet d'un referendum.
Peuvent incliner vers l'une ou l'autre des suites, la nature de la question abordée, la tradition politique du pays, l'échelle du problème (national, régional ou communal).

Le coût d'une telle procédure
On peut craindre qu'une telle procédure soit horriblement chère. La question du coût économique d'un système politique est-elle légitime ? On serait tenter de répondre que la démocratie n'a pas de prix et que la participation d'un maximum de citoyens aux affaires publiques est une finalité en elle-même, et même dans une vision téléologique de progrès humain la finalité par excellence. Mais si l'on accepte le débat on peut argumenter que le coût à court terme et le coût à long terme sont à prendre en considération. Qu'à court terme le despotisme soit meilleur marché que la démocratie est une évidence, par contre à long terme les dérives naturelles des régimes autoritaires laissent à penser que la démocratie est le plus économique car le plus juste des systèmes, et l'histoire récente a montré que les pays démocratiques avaient un développement économique plus soutenu et plus durable. Si l'on compare maintenant un système démocratique intégrant les conférences de consensus à un système de démocratie représentative, qu'on évoque les dérives actuelles : corruption, trafic d'influence, caisse noire des partis, mouvements antiparlementaristes, baisse constante de la participation politique que ce soit par la crise des militants ou par l'abstentionnisme, tentation montante du repli sur soi. La démocratie parlementaire n'apparaît pas comme une solution particulièrement bon marché à long terme ! Si l'on peut ergoter sur le prix de la démocratie, le peut-on sur le prix de la paix civile ?

Source : Texte original
Contact : Matthieu Calame. FPH. 38, rue Saint-Sabin, 75011 Paris. Tel: 01 43 14 75 75. Fax: 01 43 14 75 99. E-mail: mac@fph.fr
I -Les aspects fondamentaux des conférences de Consensus XI - Grande Synthe : la participation à l'échelle du projet urbain
II - Débats publics sur les choix technologiques : l'expérience danoise XII - Les expériences participatives dans la région de Bâle
III - L'impact des conférences de consensus au Danemark XIII - De la nécessité d'une participation citoyenne
IV - Publiforum : une manière d'évaluer avec les citoyens XIV - Fabriquer du consensus ?
V - Les contraintes du discours technocratique XV - L'épreuve de la discussion
VI - Le modèle NIP (Noyaux d'Intervention Participative) XVI - L'argumentation dans la délibération politique
VII - La méthode du Panel de Citoyens XVII - Les Conférences de consensus, un avenir pour la démocratie ?
VIII - Écolo : conférences de citoyens & NIP XVIII - Des Conférences de Citoyens
IX - Le sondage d'opinion délibératif . XIX - De l'organisation des Conférences de Citoyens
X - Les forums de discussion XX - Dossier de lecture
Voir aussi, sur le site de Chiche! => Conférences de citoyens : à poil les technocrates !

<< Page d'accueil < Page "MotivéEs"  Démocratie participative => Forum du FSL33 Réseau local pour HLM
Sites sur les S.E.L. (Systèmes d'échange local) => SELidaire (Etudes), TransverSel
 Pour la refondation sociale  Refonder la protection sociale  Référendum  Un "Habeas corpus" Européen