Etats Généraux de L'Ecologie Politique
Pierre MAHEY - CEDIPELP (Centre de Documentation International pour le Développement, les Libertés et la Paix) 25/11/1997
Grande Synthe : la participation à l'échelle du projet urbain

 

L'Atelier de Travail Urbain de Grande Synthe a réussi à faire vivre un espace de débat fondé sur la partage des compétences et l'élaboration d'un langage commun entre techniciens et habitants, sur le thème de l'aménagement de l'espace public, devenu (avec la restructuration du monde du travail) le lieu essentiel de la socialisation et de l'apprentissage de la citoyenneté.

La Ville de Grande Synthe dans l'agglomération de Dunkerque a mis en place une Mission pour un Développement durable chargée d'un projet d'agenda 21. L'effort portera dans un premier temps sur la sensibilisation des services municipaux et des élus, avec une attention particulière à la participation des habitants.
Depuis 1994, il existe à Grand Synthe un Atelier de Travail Urbain (ATU), processus participatif expérimental sur l'aménagement urbain qui avait été proposé par l'Agence d'Urbanisme et de Développement de la Région Flandres-Dunkerque, quand une étude faisait apparaître la forte implication des habitants par rapport au développement d'ensemble de la commune.

Rencontre d'acteurs de tous les horizons
Dans l'ATU se réunissent les élus de Grande Synthe, les techniciens de l'aménagement, architectes ou paysagistes privés, des agents communaux des services techniques ou du service du développement des quartiers, des agents de la communauté urbaine, des représentants des organismes bailleurs, des urbanistes de l'Agence d'Urbanisme, des habitants, initialement représentants d'associations préoccupées par les questions de logement ou d'environnement, le Conseil des Sages..., et enfin, depuis 1995, aussi des habitants sans mandat particulier. Les rencontres sont organisées et animées par un professionnel du bureau "Arpenteurs". Un chercheur de l'Université de Louvain la Neuve travaille sur une évaluation permanente de l'expérimentation.Le site privilégié de l'action de l'ATU a été d'abord celui du réaménagement des espaces extérieurs de la ville qui ont particulièrement souffert du fait de démolitions très importantes, laissant en déshérence des territoires démesurés. Après un fonctionnement d'une année, l'ATU a maintenant pour mission d'intervenir sur l'ensemble des quartiers de Grande-Synthe, et de coordonner tous les projets particuliers, en harmonie avec le projet urbain global qu'il définit.

Trouver un langage commun entre techniciens et non-spécialistes
Le travail initial de l'ATU fut de constituer un mode d'échange entre les différents acteurs. L'expérience a montré l'importance primordiale du problème de langage : c'est par le langage que s'établissent bien souvent les bases d'une reconnaissance de compétences. Il ne s'agit pas de gommer les différences de culture et de points de vue, mais bien de tenter de constituer, sur le principe d'une formation réciproque, un langage spécifique au groupe.

Quel travail en groupe ?
Rien de mieux, pour éduquer le regard que de voyager : le groupe a visité des opérations en Belgique, dans le bassin minier et à Grande-Synthe même. Il a travaillé sur des exercices de compréhension des échelles et des dimensions à partir d'exemples connus de tous ; il a réfléchi sur les rôles et les fonctions de l'espace public : s'isoler, se rencontrer, se montrer, s'asseoir... Il a ensuite inventorié les matériaux de l'espace public, le végétal, l'eau, la lumière..
Le premier travail sur l'espace de la ville a été de faire un relevé des parcours piétons et cycles privilégiés et de bâtir une cartographie des cheminements. C'est cette carte qui deviendra le fond de plan du "programme" du projet urbain, introduisant ainsi l'usage quotidien de l'espace comme trame de structure et de liaison.
Mais l'ATU ne part pas de zéro, ne fait pas table rase. Son ambition est de rétablir une cohérence globale et comprise par le plus grand nombre dans les projet en cours ou à venir
Ainsi sont alternés des moments de travail intense, la réflexion sur le plan et la présence sur le terrain, en testant des options par des marquages à échelle réelle in situ, avec comme principal objectif de construire peu à peu les liens entre les différents projets.
L'année 94 a été conclue par la présentation d'une exposition itinérante, dans un bus, ouverte à tous. Plus qu'un exposé sur les projets, cette exposition proposait une formule interactive de compréhension de la démarche, mettant les visiteurs en situation de jeu sur des questions d'espace public et d'usage de l'espace, accompagné par des "écouteuses" recueillant la parole de chacun. Le succès de cette action (plus de 1100 personnes en une semaine) a contribué à faire évoluer fortement l'ATU qui a dû faire face à une demande de participation de plus en plus importante d'habitants.
Il est aussi significatif d'un intérêt nouveau des habitants pour l'espace public urbain, intérêt qui confirme l'importance de celui-ci comme lieu de la constitution du lien social, à l'heure où le monde du travail ne peut plus autant remplir ce rôle.

Un espace où s'invente une nouvelle forme de démocratie
Bien que l'ATU soit maintenant affiché comme outil permanent, les nombreuses questions que soulève son fonctionnement en font encore un outil expérimental et de recherche sur la démocratie locale, le fonctionnement du service public, la gestion de la complexité participative.
Il faut dire que peu de projets concrets ont encore abouti. Aucune obligation de résultat ou d'échéance n'était affichée par les élus au début de l'expérimentation et ceci a permis de prendre le temps à chacun de tester la confiance qu'on pouvait accorder au processus. Le temps de vérifier que ce qui se disait à l'ATU était réellement pris en compte, que les débats étaient réellement retranscrits et transmis vers les instances de décision, que chacun avait la possibilité de s'exprimer au même titre que les autres, que le processus était durable avec un calendrier connu de tous, etc.
C'est sur cette base qu'avancent maintenant les projets et que peuvent d'ailleurs être gérés des conflits très intenses mais qui ne remettent plus en cause la valeur ou la légitimité de l'outil de débat qu'est l'Atelier de Travail Urbain. Au bout de 4 années de fonctionnement, les partenaires repositionnent maintenant les enjeux de l'Atelier de Travail Urbain au delà de la participation à l'élaboration des projets de la commune en matière d'aménagement urbain.

Les questions en jeu actuellement sont :
- l'ouverture vers de nouveaux publics, par exemple les enfants, les jeunes, les populations d'origine maghrébine,
- l'évolution nécessaire du Service Public municipal qui doit s'organiser, à l'image du processus de participation, en transversalité et en transparence entre les différentes directions. Il est maintenant clair pour chacun que ce lieu est avant tout un "espace public de débat" où chacun se forme et invente une nouvelle forme de démocratie. L'ATU est devenue une "école de la vie" qui confirme à chacun des participants son rôle de citoyen et lui propose d'être acteur d'une expérimentation à la démocratie participative.

Source : Compte-rendu de colloque. 'Habitat II, actes du colloque à Lyon, le 4-6 décembre 1995', FNAU. L'article a été réactualisé le 7.1.1997.
Contact : Pierre Mahey, Arpenteurs, 9, place des Ecrins, 38600 Fontaine, France.


Hans WIRZFNAU (Fédération Nationale des Agences d'Urbanisme), Suisse 1995
Les expériences participatives dans la région de Bâle

On peut distinguer trois manières différentes de faire participer les habitants aux projets de développement : la participation formelle à l'élaboration du projet, la participation informelle des associations et des citoyens concernés, et la participation à la décision finale sous la forme de la votation populaire. L'exemple d'un processus d'aménagement en Suisse montre tout l'intérêt de combiner ces trois modes de participation citoyenne.

Il n'existe certainement pas un planificateur ou élu responsable du développement urbain qui ne soutienne le postulat de la participation publique. Le principe de la participation ne souffre aucune contestation. Il est en effet plus facile - et gratifiant - de réaliser un projet ou un plan de développement soutenu par les habitants du quartier ou de la ville. Une autre question se pose pourtant: sous quelle forme, à quel degré et avec quels moyens le citoyen devrait-il être impliqué dans un processus de planification participatif ?

A priori, l'on peut penser qu'il existe autant de modèles participatifs que de projets. D'où une multitude de solutions, mais on peut toutefois y distinguer trois grandes familles de principes:
1) la participation "juridico-formelle" c'est à dire la possibilité de participation prévue dans la procédure et le déroulement du projet;
2) la participation informelle qui mobilise les habitants et les associations;
3) la participation politique, ou "système de démocratie directe" à travers les votations populaires.

Si l'on évalue ces trois modèles sur un critère d'intervention décisionnelle, les deux premiers modèles offrent une participation du citoyen assez limitée. En effet, dans le premier cas, l'on a une intervention ponctuelle (par ex. lors de l'enquête publique, puis par l'opposition au projet par les voies judiciaires). Dans le second cas, la situation est plus volontariste, plus consultative. Le citoyen participe au projet, soit à titre personnel, soit comme membre d'association, sans pouvoir de décision toutefois. Les problèmes de ce type de participation sont connus : le principal problème est celui de la représentativité, du choix des groupes pertinents et des "laissés pour compte" (pas de représentant...). Malgré tout, la participation informelle a prouvé son utilité en devenant incontournable pour intégrer les souhaits et revendications des habitants dans les projets et plans de développement.
Finalement, reste un troisième modèle de participation directe de chaque citoyen à la décision politique par le moyen bien connu du référendum ou "votation populaire". Le verdict des électeurs est de dernier ressort, il est final. Chacun doit le respecter (élus, planificateur). Avec ce troisième modèle il s'agit bien d'une spécificité suisse. La votation est l'élément structurant de la participation réelle du citoyen à la planification des projets les plus importants.

Prenons l'exemple du projet d'Euroville à Bâle en Suisse, il s'agit d'une restructuration globale du quartier de la gare centrale. Le projet s'articule autour de deux objectifs : a) le renforcement du noeud d'échanges de transports b) la création d'un centre de services prévu pour 4500 emplois.
Les premières études ont commencé il y a 12 ans. Dès le démarrage du projet, les responsables politiques ont investi dans la participation des citoyens, sachant qu'une opposition trop forte renforcerait les obstacles à surmonter (votations populaires, recours judiciaires). D'où de nombreuses démarches initiées :
* création de cinq "groupes d'accompagnement" officiels auprès du maître d'ouvrage, dans le cadre de la participation formelle à la procédure : a) groupe d'accompagnement, relations publiques b) urbanisme, architecture c) transports d) environnement e) réseaux.
Chaque groupe d'accompagnement composé d'une douzaine de personnes de toutes tendances, surtout du secteur privé, a pour fonction d'apporter des avis d'experts ainsi que d'exercer un contrôle sur la qualité des études.
* participation informelle du second type qui implique une multitude d'associations ainsi que d'autres groupes. Les plus importants étant les associations de quartiers riverains, celles de transports, de commerçants, de partis politiques, de parents d'élèves, etc. Des centaines de réunions ont ainsi été consacrées au projet. Ces associations étant "périphériques" au projet, il faut noter le rôle clef joué par la grande "Association gare" pour la promotion du projet EuroVille.
* Qui dit votation populaire exige information préalable et donc, les campagnes d'information ont été capitales dans une participation du troisième type: journal spécifique, un pavillon d'expo permanente à la gare et enquêtes d'opinion sur des propositions alternatives. Il était indispensable de créer un climat favorable dans la population. Ce projet a en effet passé 4 fois l'obstacle d'un référendum (1983, 1987, 1991, 1992) dans un sens favorable aux décisions souhaitées et espérées par le maître d'ouvrage.

Que peuvent apporter ces différents types de participation ?
* Dans le premier cas, les groupes d'accompagnement poussent à des solutions plus différenciées, mieux argumentées, couvrant un maximum d'aspects. Il faut pour ce faire un groupe aux origines les plus larges, libre de ses avis et non confiné dans un rôle de "chambre d'enregistrement", à l'écart des circuits de décision.
* Dans le deuxième cas, il s'agit d'une meilleure réponse aux besoins et aux attentes des citoyens. Par exemple, très concrètement, cela signifiait une extension du parking vélo de 2100 places (parking VP de 1700 places), plus de confort et de sécurité pour les usagers et les clients de la gare, et des plans de mesures d'accompagnement pour les quartiers proches.
* Dans le troisième cas, après chaque votation, on a un feu vert pour continuer le projet et faire avancer le chantier. On est en situation de démocratie directe, et nul ne pourra dire que le projet s'est fait contre la majorité des habitants ou en les ignorant. Il ne faut pas s'y tromper: le vote "ne donne pas le crayon" aux habitants, ils ne dessineront pas le projet. Ils s'exprimeront face à un projet précis. C'est au maître d'ouvrage de gérer les modifications à opérer et au planificateur d'apporter son savoir faire.

Source : Entretien avec Hans Wirz.Contact : Hans Wirz, Rheinstrasse 29, 4410 Liestal service de la planification des 2 Bâle - Suisse. Tel : 41 61 925 59 43 - fax : 41 61 925 69 83.

 
I -Les aspects fondamentaux des conférences de Consensus XI - Grande Synthe : la participation à l'échelle du projet urbain
II - Débats publics sur les choix technologiques : l'expérience danoise XII - Les expériences participatives dans la région de Bâle
III - L'impact des conférences de consensus au Danemark XIII - De la nécessité d'une participation citoyenne
IV - Publiforum : une manière d'évaluer avec les citoyens XIV - Fabriquer du consensus ?
V - Les contraintes du discours technocratique XV - L'épreuve de la discussion
VI - Le modèle NIP (Noyaux d'Intervention Participative) XVI - L'argumentation dans la délibération politique
VII - La méthode du Panel de Citoyens XVII - Les Conférences de consensus, un avenir pour la démocratie ?
VIII - Écolo : conférences de citoyens & NIP XVIII - Des Conférences de Citoyens
IX - Le sondage d'opinion délibératif . XIX - De l'organisation des Conférences de Citoyens
X - Les forums de discussion XX - Dossier de lecture

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