Réactions au texte d'Yves Salesse, "L'urgence" :
Les institutions ne sont pas neutres

Dans son ouvrage, « Réformes et révolution : propositions pour une gauche de gauche », Yves Salesse argumente contre les formes dégradées de démocratie induites par l’actuelle Constitution tout en développant des pistes fructueuses pour ré-inventer les manières de s’organiser et de décider. Dans le texte qu’il propose pour lancer le débat sur le site de Politis, il pose d’emblée que «les institutions de la 5ème République doivent être remises en cause ». Mais pour ajouter aussitôt que « pour autant, présenter la réforme des institutions comme la question centrale ne permet pas de répondre à la situation ». Cette position consistant à affirmer que la question des institutions, et donc de la démocratie et de l’organisation du pouvoir, est essentielle mais pas centrale, décisive mais secondaire, importante mais pas tant que ça, a déjà été développée par des porte-parole de la gauche radicale. Elle amène à dissocier les priorités du chantier et à hiérarchiser dans le temps les objectifs : d’abord la réduction des inégalités multiples qui traversent la société et les sociétés, puis après, plus tard, une fois résorbées ces inégalités qui hypothèquent la démocratie politique participative, on pourra s’attaquer à la question de l’organisation du pouvoir. Outre qu’une telle position renvoie aux calendes la question des institutions, elle mésestime la manière dont le projet socialiste peut et doit être arrimé au projet participatif et sous-estime le rôle dynamique des institutions, comme si les institutions étaient neutres et incapables de produire des effets sociaux sur la mobilisation de la société. Devant l’urgence, il serait mortifère pour la gauche de manquer d’ambition et de ne pas penser ensemble démocratie et justice sociale.

 

Sur le  21 avril d’abord, Yves Salesse pose le constat difficilement contestable que « ce n’est pas parce qu’elle désapprouve les institutions qu’une part significative des milieux populaires s’abstient ou vote à l’extrême droite ». Mais on pourrait ajouter aussitôt que c’est parce que les préoccupations et la simple existence des milieux populaires ne sont pas portées dans l’espace politique par des professionnels de la politique, essentiellement masculins et sur-selectionnés socialement, que ces mêmes milieux populaires ne se sentent pas représentés (1). La fermeture sociale et professionnelle du milieu politique, et donc la sélection des préoccupations portées en politique, n’est sûrement pas pour rien dans le retrait ou la protestation par rapport à la politique institutionnelle.

Le projet de gauche qu’Yves Salesse esquisse est bien de restaurer la volonté politique, le droit républicain, l’ordre public social face au marché. Plus précisément, dans cet ordre public social, il faut reprendre au capital, aux actionnaires et fonder une démocratie sociale. Plus globalement, « la question européenne est incontournable » et « l’absence de répondant politique » problématique. Ces constats et objectifs sont difficilement contestables et peuvent nous rassembler. Mais comment mobiliser la société dans le cadre d’une cinquième République taillée pour De Gaulle en 1958, dans une conception verticale du pouvoir où les décisions tombent d’en-haut, du niveau local ou niveau national ? Comment livrer des analyses sur les transformations du capitalisme financier en réseau sans poser comme prioritaire et nécessaire l’organisation ouverte et horizontale du pouvoir politique ?

Au moment où la droite démantèle la loi « anti-licenciement », il n’est pas inutile de se rappeler que le Conseil Constitutionnel, majoritairement composée à droite,  à propos de l’amendement Michelin avait interdit d’interdire les licenciements boursiers…comme si la Constitution disait une chose pareille. Les institutions actuelles, conservatrice, pensent à droite. 

La Constitution à venir est un projet social (2) pour la gauche : la Constitution contribue à définir les responsabilités de l’Etat vis à vis de la société. Elle encadre ainsi les politiques relatives aux marchés, aux inégalités sociales, à l’environnement… Les droits fondamentaux énumérés en préambule des Constitutions offrent l’occasion de réaffirmer des valeurs cardinales :

-         « droits-libertés » toujours à défendre contre les idéologies liberticides et les dérives sécuritaires ;

-         « droits-créances » (à l’éducation, à la santé, au travail, au logement...) jamais solidement constitutionnalisés ;

-         « droits-solidarités » (à la paix, au développement économique, à l’environnement…) aujourd’hui à proclamer.

Plus encore refuser de penser l’organisation de la délibération et du débat politique de l’échelon local à l’échelon européen, refuser de réfléchir à l’articulation des institutions locales, nationales, européennes, c’est se cantonner à un horizon national dans lequel les politiques de redistribution souhaitables sont condamnées.

Les institutions ne sont pas neutres. La nécessité de ré-organiser les manières dont nous vivons ensemble et décidons est fondateur du projet émancipateur de résistance au libéralisme mondial. Il ne s’agit pas de dire que les institutions constituent la question centrale. Simplement de constater que ceux qui veulent modifier l’ordre social sans changer les institutions se mentent.  Et que la question des institutions ne doit pas être dissociée du projet de refondation de la gauche et surtout pas relativisée.

Pour finir, je veux témoigner, des résistances incroyablement fortes que je rencontre au sein de mon parti depuis 10 ans pour cette simple mesure concrète, de bon sens  et qui pourrait changer le cours des choses, notamment s’agissant de la démocratie locale, de la décentralisation et des règles du jeu politique local : un mandat unique pour les député-e-s. La force de ces résistances me convainc de l’autisme du système politique et de la nécessité pour la gauche de rassembler ses forces pour des institutions ouvertes et démocratiques. Il serait mortifère pour la gauche de relativiser ce combat au nom de la gauche.

Marion Paoletti, Bordeaux,
Nouveau Parti Socialiste (NPS) , Membre fondatrice de la Convention pour la 6ème République (C6R)

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De : Marion Paoletti <marion.paoletti@libertysurf.fr>
Date : 18 Mar 2003 10:59
À : <fsl33@free.fr>
Objet : C6R et FSL

Bonjour,

Je n'ai pas pu assister jusqu'à présent aux réunions de préparation du FSL et dans celles qui sont prévues je ne vois pas celles qui serait pertinentes pour adresser ma demande, si ce n'est celle du 24 mars.

Voilà, de manière générale, il me semble que ATTAC se désintéresse des questions d'institutions locales, nationales, européennes. Or la question de la démocratie locale, des possibilités de participation citoyenne, sont centrales dans son projet.

Il me semble que la Convention pour la Sixième République pourrait utilement développer dans le cadre du FSL la nécessité d'une réforme profonde des institutions, notamment locales, pour que la "participation" cesse de relever du marketing politique (3) comme maintenant. Cette animation pourrait bien-sûr se faire avec d'autres, notamment des membres du réseau "Démocratiser radicalement la démocratie". La C6R 33 a mis au point tout cet hiver un "kit citoyen" qui présente de manière claire ce qu'était la IVème République, ce qu'est la 5ème, ce que sera la 6ème. Je pense que ça va être un bon outil et qu'il peut être finalisé pour début mai.

A la suite de ce message, pour info, je me permets de vous mettre un article que je viens d'envoyer à l'ADELS (asso pour la démo locale fondée en 1959) qui m'avait demandé un papier sur la démo locale pour la C6R. Et en pièce jointe, je vous adresse aussi une tribune que j'avais écrite cette hiver pour Politis : "Les institutions ne sont pas neutres". Il me semble que la position de la gauche radicale qui consiste à dire "La question des institutions est importante mais secondaire, décisive mais pas centrale" est...casse-gueule...Ca pourrait être un élément de débat du FSL...

A bientôt? Marion Paoletti

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La Convention pour la Sixième République fait le constat que la réforme de la décentralisation depuis plus de vingt ans a toujours eu pour ligne la question du partage du pouvoir entre l’Etat et les élus locaux, jamais celle du partage du pouvoir entre élus et citoyens (4). De ce point de vue, la légalisation de la participation apparaît tardive, timide et contrôlée dès sa rédaction au Parlement qu’il s’agisse par exemple des conseils de quartier (5) placés par la loi sous le contrôle du maire ou des « référendums » locaux. Les possibilités de participation s’inscrivent dans un cadre à la fois très représentatif et assez peu conforme aux standards qui permettent de qualifier un régime de démocratique :
-         personnalisation et présidentialisation du pouvoir sur la tête du patron de la collectivité locale,
-         - confusion des pouvoirs exécutifs et « délibératifs » locaux sur cette même tête,
-         faiblesse des oppositions politiques et des moyens dont elles disposent,
-          absence de lisibilité du système local qui rend impossible l’identification de « qui fait quoi ».

Dans ce cadre, la participation, en dépit d’expériences vertueuses localisées, apparaît trop souvent comme un moyen de légitimation, de communication, apparaît trop souvent comme relevant du marketing politique.

Plus encore, la réforme de la décentralisation passe aujourd’hui de plus en plus sous les fourches caudines du principe économique de mise en concurrence des territoires. Le droit à l’expérimentation, la dérogation par rapport à la loi, renforceront des coalitions à géométrie variable autour de « projet » avec des acteurs publics variés, des groupes privés, des groupes d’intérêts. La notion même de République est menacée quand le fondement de son organisation territorialisée est la mise en concurrence des territoires. Le risque est grand que la participation ne soit rabattue que sur le quartier, à un échelon sans pouvoir, relevant d’une logique « occupationnelle » et domestique alors que l’essentiel se joue ailleurs, et notamment dans les Etablissements Publics de Coopération Intercommunale, échelon de pouvoir mais toujours non élu au suffrage universel direct.

Si la participation des habitants est une idée qu’on veut prendre au sérieux, si on pense que le politique est à refonder pour être en capacité d’agir de nouveau, alors il faut repenser la manière dont on s’organise, repenser le pouvoir. Tel est l’objectif de la C6R, notamment s’agissant des niveaux locaux. La France des collectivités locales est en réalité un système féodal structuré comme un mille-feuilles de fiefs opaques où le pouvoir s’exerce au plus grand profit d’une corporation d’élus cumulards. Si la décentralisation, comme c’est le cas actuellement, n’est envisagée que sous l’angle de l’intérêt d’élus locaux soucieux d’obtenir de nouvelles compétences, elle ne permettra pas à la démocratie locale de se libérer du carcan institutionnel qui l’étouffe. Il faut donc dire avec force la nécessité préalable d’une refonte complète des règles du pouvoir local.

Pour déverrouiller le système, il est indispensable de s’attaquer simultanément aux chantiers qui concernent la représentation politique et la citoyenneté locale.

S’agissant de la représentation politique locale, il s’agit de séparer radicalement l’exécutif du délibératif (comme au niveau national). L’exécutif, dorénavant clairement identifié, disjoint de l’assemblée et ne prenant pas part au vote, doit être cantonné à un rôle de proposition (non exclusif) et d’application des décisions votées. Parallèlement, les pouvoirs des assemblées locales doivent être renforcés, s’agissant en particulier du contrôle de l’exécutif en cours de mandature. Il doit être fait une place particulière aux droits de l’opposition. Il s’agit de proscrire strictement le cumul des mandats dans le but, tout à la fois, d’assurer une meilleure présence des élus sur le terrain, d’accroître le nombre de citoyens exerçant un mandat, de permettre une plus grande rotation démocratique. Ce qui suppose d’établir dans le même temps un statut des élus favorisant ce type d’investissement civique et une meilleure représentativité de nos représentants (6) .  Parallèlement, il s’agit de permettre une participation effective des habitants aux politiques locales en l’émancipant du contrôle des élus. Plusieurs mécanismes peuvent être envisagés, favorisant l'information, l'initiative ou même la prise de décision citoyennes. Les structures participatives inventées dans les autres pays européens notamment montrent bien la voie à suivre, entre souplesse et efficacité démocratique. Le référendum local pourrait être fondée sur une initiative populaire dans des conditions crédibles et avoir pour objet une proposition de délibération. Cette utopie concrète de communautés locales agissantes ne saurait souffrir l’exclusion d’habitants régulièrement installés. Le droit de vote des étrangers aux élections locales s’impose.

C'est à ces conditions que l'on pourra commencer à parler de démocratie locale. Et il sera alors bien temps de discuter des compétences attribuées à telle ou telle collectivité. Un préalable s’impose : celui d’un mandat unique pour les député-e-s. La France est le seul pays dont le Parlement est composé de deux chambres de représentants des intérêts locaux : le Sénat, constitutionnellement, indéfectiblement. L’Assemblée Nationale  composée de présidents de collectivités locales qui se comportent mécaniquement comme tels lorsqu’ils légifèrent sur le local. La loi locale est faite par des élus locaux pour les élus locaux. Ce cumul-là, interdisant aux députés de se comporter en représentants de la nation,  mure l’horizon politique de la démocratie locale. Quand la réforme de la décentralisation consacre le rôle du Sénat comme chambre prioritaire pour la lecture des textes touchant l’organisation locale, on ne prend décidément pas le chemin de libérer la démocratie locale du poids excessif de ses grands cumulards.

Marion Paoletti <= Lui écrire
Lire absolument => La démocratie locale participative : constat et propositions

(1) Ce n'est donc pas qu'une impression, mais un fait. Comment se fait-il que je n'ai pas eu connaissance qu'un quelconque des membres de l'actuel NPS girondin ait jamais mis à l'ordre du jour la représentation des exclus dans le bureau fédéral lorque le GSCP (Groupe des Chômeurs et Précaires du PS 33), dont j'étais co-fondateur, essayait d'être reconnu ? Le seul qui l'ait fait, que je sache, est M. Alonso, actuel membre de "Nouveau Monde". (cf. page "Les Rénovateurs")
(2) Sauf que, lors de la constitution de la C6R locale (10-10-03), "à la demande faite d'inscrire la dimension sociale dans la Constitution et à celle de s'impliquer dans le FSL33, il y a été coupé court sous le prétexte que la C6R se fixait d'abord un but pédagogique, et qu'elle n'avait pas à s'investir dans le social.".
D'ailleurs, la dimension sociale n'apparait dans aucune des 30 propositions, et le mot "social" n'y figure même pas ! Avec la C6R, en avant pour l'Europe sociale ;-(
(3) L'expression "projet social" du texte précédent (cf. note 2) est pourtant bien une publicité mensongère. De même, lorsqu'il s'agit principalement (13 propositions sur les 30 propositions,) de "donner plus de pouvoir aux représentants", n'est-ce pas - inversement - moins de pouvoir aux citoyens ? D'ailleurs les 2 seules propositions sur la "participation" ne font qu'évoquer timidement la "possibilité" de la prise en compte des initiatives citoyennes.
(4) La "démocratie participative" ne consiste pas à continuer de faire des chèques en blanc tous les 5 ans. Il s'agit d'abord de redéfinir les rapports des citoyens avec leurs représentants, le pouvoir de contrôle collectif des 1ers sur les 2nds, et le devoir de rendre compte de ces derniers. Toute délégation de pouvoir sans contrôle permanent conduit au désaisissement du pouvoir des citoyens. Il s'agit ensuite de ne pas déléguer toutes les décisions mais au contraire de développer un processus par lequel, dans un nombre croissant de domaines, la population puisse décider directement de ce qui est bon pour elle. Il faut donc, non seulement une représentation qui ne soit pas tronquée, mais aussi moins de délégation dans plus de domaines.
(5) Bibliothèque des Conseils de quartier (ADELS). Nous avons bien compris que ce n'est pas aux citoyens à contrôler leurs représentants, mais à la caste des élus, même s'ils représentent moins de 50% de la population (puisqu'ils ne représentent même plus 50% de l'électorat), à contrôler les citoyens.
(6) Dans le parti, les exclus sont-ils représentés ? Même si le PS a fait une loi sur la parité, il a préféré payer l'impôt "femmes" que de la respecter. S'ils veulent être pris au sérieux, que les "rénovateurs" montrent l'exemple dans leur propre parti, et aussi sur la question du cumul !

Télécharger la Constitution Française : 29k, "Zip" ( => fichier d'aide 'hlp', 118k).

Sur le site FSL33 => Constitution d'une C6R locale  Lettre à la C6R Forum "Démocratie participative"

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