FORUM SOCIAL MONDIAL 2003 - ATTAC |
Politiques publiques et économie
solidaire
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Nancy Neamtan
Chantier de l'économie sociale Québec 23 janvier 2003 |
Au
fur et à mesure que le mouvement de l'économie solidaire se développe
et gagne du terrain dans le domaine politique, il existe une forte pression
dans un monde dominé par l'idéologie néolibérale
de développer une approche des politiques publiques qui marginalise et
qui confine l'économie solidaire à une économie de pauvres,
une économie qui vise à réduire ou ramasser les dégâts
de l'économie néolibérale et non pas à le transformer.
Je voudrais commencer en vous exprimant rapidement, au nom de tous mes collègues,
de toutes les femmes et tous les hommes qui travaillent quotidiennement au Québec
pour la construction d'une économie et d'un monde plus solidaires et
équitables, toute la fierté et le plaisir d'être ici aujourd'hui
et de pouvoir contribuer d'une façon modeste à la réussite
de ce troisième Forum social mondial.
Pour ceux et celles qui ne le savent pas, le Québec
est une petite société francophone au sein de l'océan anglophone
que constitue l'Amérique du Nord. Notre façon de vivre et d'interagir
ensemble, tout en étant très nord-américaine, se distingue
aussi des États-Unis et du Canada anglais à bien des niveaux.
Notre expérience des dernières années dans la construction
d'un mouvement d'économie solidaire et nos avancées sur le plan
des politiques publiques ne trouvent donc pas écho ailleurs sur le continent.
Par ailleurs, nous travaillons activement pour « contaminer » nos
voisins canadiens, pour échanger avec des mouvements similaires aux États-Unis
et pour construire des ponts avec des acteurs de l'économie solidaire
à travers la planète. Nous étions, en octobre 2001, les
hôtes d'une importante rencontre internationale des acteurs d'économie
solidaire et nous poursuivons ce travail de réseautage avec des collaborateurs
et collaboratrices sur plusieurs continents en vue d'une prochaine rencontre
à Dakar en 2005.
Un
enjeu fondamental
Le sujet que nous abordons dans cette brève session est
selon moi un enjeu fondamental pour les acteurs de l'économie solidaire.
Je sais qu'il est particulièrement important pour les acteurs brésiliens
de l'économie solidaire, avec l'annonce par Lula
de la création d'un Secrétariat à l'économie solidaire
au sein du ministère du Travail. Pour cette raison, je vais tenter de
présenter quelques enjeux de fonds liés à cette question
et de vous parler ensuite de notre expérience au Québec.
Il n'y a pas de
doute que la mise en place de politiques publiques
en faveur de l'économie solidaire est une nécessité pour
sa construction et son épanouissement.
La première raison en est assez simple et même primaire : car la
reconnaissance et le soutien de l'état au
développement de l'économie solidaire
ouvre un accès à des moyens matériaux financiers et autres
pour agir. Et si nous réclamons ce soutien de l'état, ce n'est
pas parce que nous pratiquons une forme d'économie qui exige de la charité
tandis que la « vraie » économie, l'économie capitaliste,
n'a pas besoin du soutien de l'État. Au contraire. Il faut toujours se
rappeler que l'entreprise privée a compris
depuis longtemps l'importance des politiques publiques pour soutenir son développement.
Autant au Québec que dans d'autres pays industrialisés, l'entreprise
capitaliste a fleuri grâce à un soutien constant et fort des Etats
nations. Il ne faut jamais perdre cela de vue ! Même aujourd'hui, avec
le discours néo-libéral qui prétend vouloir réduire
le rôle de l'État, l'entreprise privée continue à
bénéficier d'un soutien important et continue à influencer
directement et indirectement, ouvertement et clandestinement et cela sans aucune
gène, les politiques publiques afin de maximiser ses profits tout en
externalisant ses coûts sociaux et environnementaux. La construction d'une
économie qui combat l'exclusion, qui respecte l'environnement, qui développe
une citoyenneté active à travers
l'autogestion et le contrôle démocratique,
apporte à la société une contribution qui mérite
une pleine reconnaissance et soutien fort et durable de l'Etat.
Mais l'enjeu des politiques publiques – qu'il s'agisse d'un soutien technique,
financier ou autre - dépasse rapidement l'enjeu des outils et moyens
matériaux. Car, si nous voulons que l'économie solidaire contribue
à la construction d'un autre monde, il nous faut également des
politiques publiques qui reconnaissent les aspirations, la vision et les valeurs
de l'économie solidaire et qui non seulement permettent son développement
soutenu et durable, mais qui reconnaissent aussi son caractère transformateur.
Cette question est fondamentale et exige de nous une très grande vigilance.
Car aujourd'hui, au fur et à mesure que le mouvement de l'économie
solidaire se développe et gagne du terrain dans le domaine politique,
il y a une forte pression dans un monde dominé par l'idéologie
néolibérale de développer une approche des politiques publiques
qui marginalise et qui confine l'économie solidaire à une économie
de pauvres, une économie qui vise à réduire
les dégâts de l'économie néolibérale
et non pas à le transformer.
Cette vision réductrice des politiques publiques,
si elle se développe et s'enracine, peut jouer un rôle contreproductif
en nous confinant dans des actions palliatives d'un système économique
qui est malade, tandis que par notre action nous devons constamment maintenir
une perspective plus large. Cette tension entre ces deux approches a été
au cœur des débats sur la mise en place de politiques publiques au Québec
en faveur de l'économie solidaire et requiert toujours une grande vigilance
pour nous les acteurs québécois de l'économie solidaire.
En même temps, je crois que nous avons fait des avancées
importantes depuis quelques années et je tenterai dans les quelques minutes
qui me sont alloués de les partager avec vous.
L'économie
solidaire, une pratique citoyenne
Le dernier aspect des politiques publiques que je voudrais souligner
ne touche pas tant l'aspect de soutien matériel que celui de la reconnaissance.
Car si nous avons pu faire des avancées importantes depuis six ans au
Québec, c'est parce que nous avons gagné la reconnaissance politique
de l'économie solidaire et la reconnaissance du rôle et du leadership
des acteurs de la société civile dans ce domaine. Car l'économie
solidaire est en premier lieu une action citoyenne, autonome
de l'État. L'État ne peut et ne doit pas remplacer le rôle
des acteurs de la société civile, ni dans ses dimensions stratégiques
ou pratiques. L'État doit venir en soutien
et permettre aux acteurs de l'économie solidaire de définir ses
priorités et de négocier l'espace et la portée des interventions
étatiques.
Au Québec, nous avons eu la chance de pouvoir
chercher cette reconnaissance car nous nous sommes organisés, tous les
acteurs de l'économie solidaire, autour d'une organisation
unique que j'ai l'honneur de présider, le Chantier de l'économie
solidaire. Notre organisation est une ONG composée de divers types de
membres qui partagent tous les valeurs et la vision de l'économie solidaire
mais qui agissent à divers niveaux. Nous regroupons ainsi des réseaux
d'entreprises d'économie solidaire, des coopératives de production,
des entreprises dans le domaine du recyclage, des coopératives d'habitations,
des radios et télévisions communautaires, le réseau des
centres de la petite enfance et j'en passe. Nous regroupons également
des acteurs territoriaux, ceux qui œuvrent en milieu rural comme en milieu urbain,
à soutenir l'émergence de l'économie solidaire. Finalement
nous regroupons, et ceci est fondamental, les mouvements sociaux – syndicats,
groupes écologiques, mouvements culturels etc.…. qui luttent quotidiennement
pour une société plus juste et démocratique.
De
la nécessité de se regrouper
Par ce regroupement des forces, nous ne réussissons pas toujours à
gagner ce que nous voulons, mais au moins nous sommes capables de faire partie
de la discussion et du débat.
Nous sommes au moins capables de débattre aussi entre nous sans nous
déchirer sur la place publique et ainsi de pouvoir présenter un
front uni face à l'État ou d'autres
acteurs qui tentent de nous démolir. Nous sommes aussi capables d'illustrer
que même si beaucoup d'initiatives d'économie solidaire sont de
petites initiatives, qu'ensemble nous formons une force considérable
dans l'économie québécoise mais également sur le
plan politique et social.
Ce regroupement des forces nous donne aussi une autre possibilité, celui
de pouvoir tisser des liens de solidarité
et de coopération sur la scène internationale.
Depuis quelques années, même si nous sommes un petit pays, avec
peu de monde, nous avons pu commencer à construire des liens formidables
avec d'autres acteurs de l'économie solidaire et d'être présents
dans des lieux comme le Forum social mondial. L'année dernière
quand nous sommes venus, nous avons découvert tout le travail qui se
faisait ici au Brésil en économie solidaire et cela a permis des
échanges avec l'ADS et la CUT, avec CAMP, CARITAS, et d'autres et nous
sortons toujours renforcés de ces échanges.
Au moment historique que vous vivez ici au Brésil, nous espérons
que ces collaborations qui ne se limitent pas au Brésil mais s'étendent
à d'autres pays de l'Amérique Latine, en Afrique, en Europe et,
espérons, bientôt en Asie, permettront non seulement d'avancer
dans le développement des politiques publiques en faveur de l'économie
solidaire, mais également dans la reconnaissance de son plein potentiel
et de son importance dans la construction d'une économie mondiale solidaire,
démocratique et équitable pour toutes et tous. [ Haut
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Nancy Neamtan
- Chantier de l'économie sociale/Québec - 23 janvier 2003
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