INTERVENTION D'ÉLISABETH GUIGOU Ministre de l'Emploi et de la
Solidarité
Nouvelle délibération de l'Assemblée
Nationale sur le projet de loi de modernisation sociale
Monsieur le Président, Messieurs
les Rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Députés,
Cette nouvelle délibération de votre Assemblée sur la
partie du projet de loi de modernisation sociale portant sur
la prévention des licenciements économiques est justifiée par
l'importance même de ce sujet. L'actualité économique et
sociale, en France comme chez nos partenaires de l'Union
Européenne, met au premier plan la question des
restructurations des entreprises et leurs conséquences sur
l'emploi.
Il n'est pas surprenant, dans ce contexte,
que les groupes formant la majorité plurielle aient souhaité
disposer d'un délai de réflexion et de discussion
supplémentaire pour s'accorder sur le cadre juridique le mieux
à même d'assurer la sécurité de l'emploi, sans handicaper pour
autant notre économie dans un marché international ouvert.
C'est un exercice difficile, qui demande à tous les
responsables publics un effort de clairvoyance pour répondre à
des attentes souvent contradictoires.
Le projet de
loi, examiné ici même il y a deux semaines, comporte des
avancées considérables :
- Il étend déjà la responsabilité sociale des chefs
d'entreprise en matière de licenciements économiques dans
une proportion bien supérieure à ce qui avait cours
jusqu'ici.
- Et il renforce de façon conséquente les droits et les
pouvoirs des salariés et de leurs représentants, pour faire
valoir une logique plus respectueuse de l'emploi, avant même
toute décision de restructurer.
Permettez-moi quelques rappels des avancées
déjà acquises après la 2ème lecture de ce texte :
- Avant toute annonce publique ayant des incidences sur
l'emploi, le chef d'entreprise doit informer préalablement
les représentants du personnel.
- Avant même de leur présenter un projet de licenciement,
il doit les informer et les consulter sur le plan de
restructuration lui-même et mettre ce plan en discussion
dans le cadre d'une procédure renforcée et à partir d'une
confrontation critique des positions en cause qui s'appuie
sur l'expert comptable du comité d'entreprise.
- Avant même d'envisager des licenciements, l'entreprise
doit négocier un accord sur les 35 heures. Elle doit tout
faire pour former, adapter les compétences des salariés, les
reclasser à des postes équivalents dans l'entreprise ou le
groupe. Elle doit chercher toute alternative possible à
l'ajustement des effectifs, notamment en réduisant les
heures supplémentaires récurrentes.
- Enfin, si les licenciements ne peuvent être évités, le
plan de sauvegarde de l'emploi est renforcé notamment par un
congé de reclassement de 9 mois et un doublement du montant
de l'indemnité légale de licenciement.
En dernier
lieu la qualité de ce plan est contrôlée par l'inspecteur du
travail et le juge. S'il est invalidé pour insuffisance, les
licenciements prononcés sont déclarés nuls.
Telles
sont déjà, Mesdames et Messieurs les députés, les exigences
que posera notre droit social, quand ce projet sera adopté,
pour prévenir les licenciements économiques, en limiter le
nombre et en atténuer fortement les conséquences humaines et
professionnelles.
En dépit de ces apports très
importants, nos débats ont montré qu'il subsiste un débat sur
deux points essentiels :
- Celui de la définition légale du licenciement économique
et de son étendue.
- Et celui qui concerne le mode de résolution des
divergences d'appréciation entre l'employeur et les
représentants du personnel, sur la nécessité de supprimer ou
non des emplois.
Les débats qui ont eu lieu
ici même il y a 2 semaines et qui se sont poursuivis depuis
lors, conduisent le gouvernement à proposer de nouvelles
réponses. C'est le sens des trois amendements qui sont soumis
à votre examen.
Le premier engage une modification de
l'article L 321-1 du Code du travail qui définit le
licenciement économique.
Les deux autres précisent le
contre-pouvoir du comité d'entreprise face au projet de
l'employeur et lui donnent plus de poids avec l'intervention
d'un tiers, médiateur, lorsqu'un compromis n'a pu être trouvé
entre elles.
1) Sur la définition du
licenciement économique :
J'avais, lors de
l'examen du projet de loi, tant en première qu'en deuxième
lecture, plaidé pour que l'on préserve une définition
suffisamment large du licenciement économique. Non pas bien
évidemment pour favoriser les licenciements, mais parce que
l'article L 321-1 est un article conçu dès l'origine pour "
qualifier " le licenciement économique, dans le but de
soumettre les cas de rupture du contrat de travail qui le
nécessitent, aux procédures protectrices : contrôle des
représentants du personnel et plan de sauvegarde de l'emploi.
Le gouvernement ne peut cependant ignorer que les
licenciements sont parfois utilisés comme une facilité par
certaines entreprises. Qu'ils constituent, pour certains
employeurs et actionnaires peu scrupuleux de la protection de
l'emploi, une simple " variable d'ajustement ".
C'est
pourquoi le premier amendement qui vous est proposé :
a) Pose le principe que les licenciements
économiques doivent être le dernier recours, lorsque toute
autre solution a été étudiée et qu'ils n'ont pu être évités
par des mesures préalables de formation, d'adaptation et de
reclassement . Intégré dans le corps même de la
définition du licenciement ce principe permettra au juge de
renforcer encore l'obligation de reclassement interne.
b) Supprime l'adverbe " notamment " qui, par son
imprécision, laisse entendre aux employeurs que toute
circonstance économique rend les licenciements possible. Si
ce n'est évidemment pas le cas, encore faut-il le signifier
par la substitution à cet adverbe d'une formule plus
précise. C'est à cette volonté que répondent les termes " ou
a des nécessités de réorganisation de l'entreprise ". La
réorganisation doit être nécessaire. L'employeur devra en
démontrer la nécessité pour que le licenciement ait une
cause économique réelle et sérieuse.
L'amendement
du gouvernement a donc une portée juridique d'autant plus
importante que, comme il faut le rappeler, la jurisprudence de
la chambre sociale de la Cour de Cassation fait depuis
longtemps une interprétation limitative des circonstances
économiques justificatrice des licenciements en les mettant en
balance avec un autre principe général : celui de la stabilité
de l'emploi, qui est la déclinaison du droit à l'emploi
figurant dans le préambule de la Constitution de 1946.
2) S'agissant des pouvoirs des représentants
du personnel pour faire valoir leurs alternatives au projet de
l'employeur
Beaucoup sur ces bancs ont estimé
que les moyens d'intervention donnés aux représentants du
personnel, pour contester le projet présenté par l'entreprise
sont insuffisants.
J'ai rappelé tout à l'heure tout ce
qui a été d'ores et déjà fait pour cela. Faut-il faire
davantage pour rééquilibrer un rapport de forces, il est vrai
trop souvent inégal ?
Le gouvernement est d'accord
pour donner au comité d'entreprise le droit de contester le
projet de restructuration du chef d'entreprise et de proposer
des alternatives.
C'est pour assurer ce
rééquilibrage, au profit des salariés et de leurs
représentants, que le gouvernement propose la saisine d'un
médiateur lorsque la ou les contre-propositions du comité
d'entreprise ne sont pas prises en compte.
L'intervention d'un expert, neutre, choisi sur une
liste arrêtée par le ministre chargé du travail sera, j'en
suis sûre, déterminante. Elle permettra d'élever le débat sur
l'opportunité de la restructuration et ses effets sur
l'emploi. De la sortir de son enfermement quand les deux
parties ne seront pas parvenues à s'entendre entre elles, ou
même et surtout peut-être quand l'employeur n'aura pas
vraiment pris le soin d'expertiser les contre-propositions des
représentants du personnel.
La recommandation de
l'expert, sans retirer au chef d'entreprise sa responsabilité,
sera un acte public à portée véritable, entourée de
l'officialisation qui se justifie dans ces circonstances : en
direction des organes dirigeants de l'entreprise et vis à vis
de l'administration du travail.
Gardons nous de porter
un jugement hâtif sur cette réforme. Bien des exemples chez
nos partenaires européens (je pense à la Belgique ou à
l'Allemagne) montrent que cette tierce intervention est
efficace. Pourquoi le serait-elle moins chez nous ?
Telles sont Mesdames et Messieurs les importants
compléments au droit que nous sommes en train d'élaborer, pour
mieux prévenir les licenciements économiques et lutter contre
leurs conséquences humaines et sociales toujours dramatiques.
Je pense que le gouvernement propose ainsi une
première issue positive au débat qui s'est à juste titre
poursuivi ces dernières semaines, et qu'il répond aux attentes
des salariés dont l'emploi est menacé par des projets de
restructuration. Je viens de dire " première issue
positive ", car le grand projet d'approfondissement de la
démocratie sociale dans notre pays est ouvert et doit se
poursuivre. Je vous ai déjà indiqué il y a quelques jours, mon
intention d'y travailler avec les partenaires sociaux, dès le
début juillet.
J'ai également lancé une invitation à
tous les représentants des groupes qui le veulent, pour voir
comment nous pouvons assurer une meilleure représentation et
participation des salariés dans les organes de direction des
entreprises.
Les réformes nombreuses et importantes du
projet de loi de modernisation sociale auront donc un
prolongement dans d'autres textes.
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